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Récapituler le droit existant ou l’interpréter, les arcanes de circulaires.gouv.fr ...

Tout sur la publication des circulaires et instructions et leur opposabilité
Et la question des notes de service, FAQ et réponses ministérielles

Vous trouverez ici une synthèse sur les circulaires et instructions ministérielles, leur nature, leur régime de publication (modifié depuis 2019) et leur (nouvelle depuis 2019 mais contrariée) opposabilité de principe. Et une bibliographie sommaire à la fin pour aller plus loin.

NB 1 : la plupart des aspects du droit des circulaires et instructions ne sont pas 100% clairs [1] et, qui plus est, évoluent de manière importante et fréquente selon la jurisprudence du Conseil d’Etat. Faites donc vos propres recherches pour compléter et mettre à jour ce billet ou passez par un professionnel du droit.

NB 2 : je ne suis ni avocat, ni spécialiste du droit administratif. En cas de besoin de consultation juridique ou de contentieux dans le domaine des circulaires, instructions et autres outils de droit dit "souple" ou "mou", consultez un spécialiste du droit administratif.

Sommaire

Les bases : définition, publication, application, opposabilité

En pratique, les circulaires et instructions sont des textes émis par un ministère et visant :

  • soit à préciser ou interpréter une réforme afin de mieux la faire appliquer par l’administration. Une grande réforme sans sa circulaire d’application sera moins maîtrisée et moins bien appliquée par l’administration [2]
  • soit à préciser l’organisation et le fonctionnement des services.

Les circulaires et instructions sont des textes de niveau infra-réglementaire. Autrement dit, leur valeur, leur rang dans la hiérarchie des normes, est inférieure à celles des décrets et arrêtés. Officieusement, les circulaires et instructions font partie de ce qu’on appelle le droit "souple" ou "mou". Depuis le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (entré en vigueur le 1er janvier 2019), celles opposables à l’administration font partie d’un nouvel ensemble plus vaste, appelé officiellement : les « documents dont toute personne peut se prévaloir ».

Bien que ne constituant pas des textes officiels stricto sensu, les circulaires et instructions peuvent avoir des effets sur les administrés. C’est pour cela — et pour que le Premier ministre contrôle mieux ce pouvoir autonome des ministres — que depuis 2008, pour qu’une circulaire puisse être appliquée par l’administration, il faut qu’elle ait été publiée (décret initial de 2008 créant circulaires.gouv.fr, transcrit dans l’article R 312-7 du Code des relations entre le public et l’administration dit CRPA tel que modifié par le décret du 28 novembre 2018 d’application de la loi ESSOC) [3] :

  • sur le site web ministériel ou au Bulletin officiel du ministère (théoriquement sous forme de lien hypertexte vers le fichier sur circulaires.gouv.fr) (art. R. 312-10 al. 3 CRPA) [4] [5]
  • ET (théoriquement, car on peut vraiment se demander si ce n’est pas OU) sur circulaires.gouv.fr (dont la véritable adresse est devenue circulaire.legifrance.gouv.fr) sous forme de fichier. Voir discussion infra
  • au bout de quatre mois sans publication sur au moins un de ces supports, une circulaire est considérée comme abrogée. Ajoutons que les circulaires et instructions signées avant le 1er janvier 2019 sont réputées abrogées au 1er mai 2019 si elles n’ont pas, à cette dernière date, été publiées (de nouveau, donc) sur les supports prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration (décret du 28 novembre 2018).

Peu après la publication du décret de novembre 2018, la Lettre de la DAJ (de Bercy) le commentait [6] ainsi : « l’article R. 312-8 du CRPA prévoit que "par dérogation à l’article R. 312-3-1, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’État sont publiées sur un site relevant du Premier ministre" soit sur circulaires.legifrance.gouv.fr. La dérogation ainsi introduite simplifie le régime de publication des circulaires ministérielles dans la mesure où il a pour effet de supprimer la règle de la double publication au bulletin officiel et sur circulaires.legifrance.gouv.fr qui existait avant la publication du décret. » Plus précisément, le texte du CRPA maintient une double "publication" : publication du fichier PDF sur circulaires.legifrance.gouv.fr / lien vers circulaires.legifrance.gouv.fr sur les autres sites (lire ce qui suit). Ce qui est supprimé, c’est le double chargement du PDF sur les deux sites.

Pourtant, attention ! : l’ancienne obligation de publication en dur sur circulaires.gouv.fr semble bien être tombée. C’est ce que soutient le professeur Geneviève Koubi [7].

Je la cite : « circulaires.gouv.fr ne peut [plus] être considéré comme le principal vecteur d’information. Le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires envisage une pluralité de sites internet sur lesquels ces textes peuvent être publiés et considérés comme des "documents dont toute personne peut se prévaloir". En attendant que tous les sites ministériels ou officiels soient estimés comme composant ce type de support au vu d’un développement incohérent du droit souple, pour l’instant, la publication de ce type de textes informatifs et interprétatifs dans les seuls bulletins officiels des ministères suffit à recaler certains recours contentieux à leur endroit ».

Elle cite à l’appui de son propos un arrêt (Conseil d’Etat, 20 mars 2019, n° 401774, Mme A. C., mentionné aux tables du recueil Lebon) qui, pour prouver la publication dans les règles, en 2015 (NB : 2015, soit avant même le décret de 2018), d’une circulaire publiée uniquement au Bulletin officiel en ligne, esquive toute référence aux dispositions du CRPA (sauf peut-être, implicitement, l’expression « dans des conditions [...] garantissant sa fiabilité et sa date de publication ») [8].

En théorie et au vu du CRPA, le truc du fichier sur circulaires.legifrance.gouv.fr / lien hypertexte sur le site ministériel ou le BO (art. R. 312-10 CRPA) oblige à la publication sur circulaires.legifrance.gouv.fr d’abord puis à la création du lien. J’ai bel et bien cherché dans le CRPA un article contredisant l’obligation de poster le PDF sur circulaires.legifrance.gouv.fr puis de publier sur le BO ou sur le site ministériel le texte par un simple lien. Je n’en ai pas trouvé.

Pourtant, au vu de l’arrêt précité CE 20 mars 2019 et de la pratique des ministères, ça ne semble pas si évident : voici quelques exemples sur ces pages ministérielles de documents opposables (en sens inverse, les circulaires et instructions déclarées opposables du ministère de l’Intérieur sont toutes publiées sur circulaires.gouv.fr et également une bonne part de celles du ministère des Sports). Comme l’écrivent G. Koubi et Wafa Tamzini, « la réhabilitation de leur publication dans les bulletins officiels ministériels et leur intercalation sur les sites internet des ministères atrophient le circuit de l’accès à la connaissance du droit qu’avait apprêté l’institution du site du Premier ministre circulaires.gouv.fr » [9].

Il faut dire que l’administration n’est plus incitée comme avant à publier sur circulaires.legifrance.gouv.fr, puisque selon le décret de novembre 2018 et le nouvel article R. 312-7 CRPA [10], ne pas publier les circulaires et instructions sur circulaires.legifrance.gouv.fr ne leur retire plus leur applicabilité, car il suffit qu’elles soient publiées sur un des sites mentionnés dans la section du CRPA (BO ou site ministériel et non plus seulement circulaires.legifrance.gouv.fr) [11]. Autrement dit, depuis le 1er janvier 2019, la non publication d’une instruction ou circulaire sur circulaires.legifrance.gouv.fr n’est plus sanctionnée.

Si vous avez d’autres lumières pour expliquer la contradiction [12] entre la pratique d’ignorer circulaires.gouv.fr et l’obligation apparente du couple fichier sur circulaires.legifrance.gouv.fr / lien ailleurs, les commentaires sous ce billet sont ouverts ...

Certaines rares circulaires ne seront pas publiées sur circulaires.legifrance.gouv.fr (ou un site ministériel, donc), selon une réponse ministérielle Masson de 2012 [13] :

  • soit parce que « les services n’ont pas vocation à s’en prévaloir à l’encontre des administrés ». Le cas évoqué dans la réponse ministérielle de 2012 est celui d’une circulaire ne faisant que « récapituler le droit existant et les missions qui incombent au représentant de l’État pour l’organisation des élections ». Il n’empêche : en théorie (puisqu’on n’a pas pu consulter la circulaire en question, et pour cause), ce document pourrait être une "circulaire interprétative" qui, selon le Code des relations entre le public et l’administration, doit désormais être publiée (voir paragraphe infra)
  • soit parce que leur publication « [attenterait] au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ou au secret de la défense nationale » [14].

Officiellement, le critère de publication selon le CRPA est le suivant : contient une « interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives » [15]. Mais au vu de certaines réponses de l’administration suite à refus de publication, le critère de « faire grief » (l’effet sur les administrés) et partant, l’applicabilité dont il est question ci-dessus, semble demeurer central.

Le côté "applicable" implique que depuis l’arrivée de circulaires.gouv.fr, il faut distinguer les circulaires en vigueur de celles obsolètes. Et éviter les entassements de circulaires sur un même sujet. C’était d’ailleurs un des objectifs de la création du site spécialisé. C’est ainsi qu’on voit les anciennes circulaires être retirées de la base circulaires.gouv.fr. ou le titre de certaines autres préciser qu’elles modifient une circulaire précédente. Comme celle qui illustre le haut de ce billet.

La circulaire qui illustre ce billet montrait d’ailleurs en mars 2021 (époque de la réécriture de ce billet sous sa forme actuelle) la difficulté de l’exercice [16]. En effet, alors que la circulaire d’origine n° CPAE1727822C du 19 octobre 2017 n’était pas entièrement remplacée par la nouvelle du 22 juillet 2019 mais en réalité précisée et complétée par celle-ci (qui d’ailleurs, selon le PDF, est une instruction et non une circulaire ...), il était impossible de trouver la circulaire d’origine de 2017 sur circulaires.gouv.fr ! Par chance, cette dernière était à l’époque encore disponible sur le site de la préfecture de Seine-et-Marne.

Voir aussi :

NB : l’applicabilité n’est pas l’opposabilité (par l’administration, au citoyen). Pour celle-ci, voir plus loin. Même si on ne peut évidemment pas opposer un texte non applicable ou abrogé.

Signature

Les circulaires sont généralement prises par le ministre/secrétaire d’Etat mais beaucoup moins souvent signées personnellement par lui (la délégation de signature est très répandue dans les ministères). Les circulaires du Premier ministre publiées depuis 2008 sur le sujet ... des circulaires [17] déplorent que les ministres ne signent pas assez souvent les circulaires émanant de leur ministère et exigent (sans être massivement suivies à ce jour, semble-t-il) qu’ils signent toutes les circulaires importantes émanant de leur ministère.

Seules les instructions et notes ne sont pas signées, par nature, par le ministre mais par des directeurs d’administration centrale, situés hiérarchiquement sous le ministre.

Le Premier ministre n’aime pas les circulaires

Notez, comme le rappelle le Guide de légistique (3e éd., 2017), que « les ministres ne disposent pas du pouvoir réglementaire, qui appartient au Premier ministre et, par exception au Président de la République (art. 13 et 21 de la Constitution). Ils ne peuvent prendre de texte à caractère réglementaire qu’en application d’habilitations législatives ou réglementaires expresses dans des domaines déterminés ou, en application de la jurisprudence Jamart (CE, Sect., 7 février 1936, n° 43321), dont le champ d’application est aujourd’hui très restreint, pour l’organisation de leurs services. »
Si dans le domaine réglementaire, le pouvoir des ministres est limité et soumis au Premier ministre, il serait totalement contradictoire de les laisser libres sur le plan infra-réglementaire.

Tout se passe comme si le Premier ministre considérait que publier ou communiquer un texte de niveau infra-réglementaire reviendrait à lui donner de la valeur et donc à pousser ce type de texte à se multiplier, déviant voire concurrençant ainsi les textes réglementaires (émis par le Gouvernement et non un ministère seul), les décrets et arrêtés. Il a été avancé que les groupes d’intérêts cherchaient fréquemment à obtenir des circulaires en leur faveur, tentant ainsi de refaire le match parlementaire et du lobbying pour obtenir ce qu’ils n’avaient pu obtenir dans le débat législatif et les arbitrages de l’exécutif. Dans ce travail d’influence, leur ministère de tutelle peut être leur allié [18], mais rarement le Premier ministre.

Cette position du Premier ministre a débuté avec les décrets Fillon créant le site circulaires.gouv.fr et obligeant les ministères à y publier les circulaires et les instructions s’ils veulent qu’elles soient applicables. Puis elle s’est accentuée avec deux "nettoyages" à la paille de fer du site en 2018 puis en 2019, des proportions énormes de circulaires étant alors retirées du site et devenant donc inapplicables aux administrés pour l’administration, mais également inopposables à celle-ci pour les administrés. Selon le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), le nombre de circulaires est « passé de 30 000 à 10 000 circulaires en vigueur en quelques années ». Selon les indicateurs de suivi de l’activité normative pour 2022 (autrement dit le SGDG), « seules 150 circulaires ont été enregistrées [en 2022] ». Soit dix fois moins qu’en 2018 [19].

On peut penser que cette action anti-circulaires a justement été causée, non seulement par la rivalité Premier ministre / ministères, mais aussi par le développement de l’utilisation de ces textes par les particuliers et les entreprises, ceux-ci retournant contre l’administration sa propre interprétation et la faisant imposer par le juge administratif. L’administration perd alors en souplesse dans l’application des textes officiels (lois, ordonnances, décrets, arrêtés) [20].

Toutefois, comme signalé plus haut, depuis 2019, la publication sur circulaires.gouv.fr n’est plus une obligation. Plus précisément, le texte peut être publié sur un site ministériel ou un BO et cela suffit pour qu’il soit applicable. La surveillance des services du Premier ministre semble donc s’être en partie relâchée suite à la loi ESSOC. Pour autant, comme on le verra infra, la liste des circulaires et instructions opposables est très limitée.

La législation et la réglementation sur les circulaires ou la naissance des principes d’applicabilité puis d’opposabilité des circulaires

Pour bien comprendre ce qui suit, il faut définir et soigneusement distinguer deux notions :

  • l’applicabilité : l’administration peut appliquer une circulaire, y compris l’appliquer dans une procédure concernant un administré. L’administration influe sur l’administré. C’est ce que l’administration et le juge administratif appellent souvent : « avoir vocation à s’en prévaloir à l’encontre des administrés » [21]. On trouve parfois l’applicabilité formulée ainsi : « opposable (par l’administration) aux administrés ». Jusqu’au décret du 8 décembre 2008 qui a créé circulaires.gouv.fr [22] l’applicabilité d’une circulaire ne dépendait pas clairement de sa publication (au Bulletin officiel du ministère, seule publication envisageable à l’époque). A partir de 2008, sans publication sur circulaires.gouv.fr, l’administration est bloquée : elle ne peut faire appliquer sa circulaire, c’est comme si celle-ci n’existait plus
  • l’opposabilité : l’administré peut exiger de l’administration qu’elle respecte et se conforme à la circulaire qu’elle-même a émise. Là, c’est l’administré qui influe sur l’administration. Jusqu’à la loi ESSOC, pour l’essentiel, seules les instructions fiscales publiées au BOFiP étaient opposables. A partir de 2019, de par la loi ESSOC, toute instruction ou circulaire devient par principe opposable. Mais la loi et son décret d’application de 2018 précisent que pour qu’une circulaire/instruction soit opposable, il faut :
    • qu’elle n’aille pas contre les « dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement »
    • et qu’elle figure sur la page web des documents opposables sur le site du ministère qui en est l’auteur.

Jusqu’à la loi ESSOC (dite sur le droit à l’erreur) du 10 août 2018, les circulaires étaient simplement applicables par l’administration — à condition qu’elles soient publiées. (Et si elles avaient un caractère impératif, le juge pouvait éventuellement les annuler : voir infra.) Seules les circulaires en matière de sécurité sociale étaient opposables (aux URSSAF et à l’AGRIC-ARCCO) [23]. Seules les instructions fiscales publiées au BOFiP étaient par principe opposables.

Avec la loi ESSOC, les circulaires et instructions émanant de l’Etat sont devenues opposables en tout domaine à l’administration (alinéa 2 de l’article L. 312-3 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), créé par la loi). C’est — en apparence au moins — une révolution : de l’exception on est passé au principe.

Pour autant, ce principe trouve deux limites.

Premièrement, selon l’alinéa 3 du même article L. 312-3 CRPA (créé lui aussi par la loi ESSOC), une interprétation erronée présente dans une circulaire n’est pas opposable (à l’administration par un administré) si elle va contre les « dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement ». Le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, rend obligatoire la mention de cette limite sur tous les bulletins officiels.

Deuxièmement, pour qu’une circulaire ou une instruction soit opposable, il y a également une condition, mentionnée d’une manière peu claire :

  • aux alinéas 1 et 2 de l’article R. 312-10 CRPA :
    « Les sites internet sur lesquels sont publiés les documents dont toute personne peut se prévaloir dans les conditions prévues à l’article L. 312-3 précisent la date de dernière mise à jour de la page donnant accès à ces documents ainsi que la date à laquelle chaque document a été publié sur le site.
    Ces sites comportent, sur la page donnant accès aux documents publiés en application de l’article L. 312-3, la mention suivante : “ Conformément à l’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration, toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par les documents publiés sur cette page, pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée, sous réserve qu’elle ne fasse pas obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement ”. »
  • et à l’article D. 321-11 CRPA :
    « Lorsque la page à laquelle renvoient les adresses mentionnées ci-dessus ne donne pas directement accès à la liste des documents mentionnés à l’article L. 312-3, elle comporte un lien direct vers cette liste, identifié par la mention “Documents opposables . »

Ce que cela veut dire a été explicité par un arrêt de la cour d’appel administrative de Marseille du 26 janvier 2021 n° 20MA02531 : l’opposabilité d’une circulaire du ministère nécessite sa mention sur le site du ministère dans la liste des documents opposables.

Voici une liste (non exhaustive) des pages "Documents opposables" de divers ministères :

La non mention sur cette liste suffit pour que la circulaire ne soit pas opposable. Or vous constaterez que ces listes sont assez courtes, voire dans certains cas très courtes ... 21 documents pour le ministère du Travail, pas plus ! Selon la base circulaires.gouv.fr (qui ne comprend pas les textes publiés au BOFiP), sur les 11426 documents présents au 3 mars 2021, seuls 490 sont opposables à l’administration, soit 4,3%. Cette condition constitue donc une limite radicale à l’opposabilité. Elle signifie aussi que de très nombreuses circulaires et instructions sont donc applicables par l’administration sans pour autant être opposables à elle par les administrés.

C’est pour cela qu’on note depuis 2019 l’apparition dans un nombre croissant de circulaires (voire la majorité d’entre elles) d’une case à cocher : Opposabilité Oui / Non. Comme par exemple dans la circulaire du 11 mai 2020 sur le droit d’accès à l’information relative à l’environnement (application de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998), déclarée (sur quelle base ?) comme non opposable (cf infra). Parfois, la circulaire elle-même ne porte pas cette mention, mais la page web portant ses références et son lien hypertexte la porte, elle, comme c’est par exemple le cas pour la circulaire du 2 juin 2020 de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale (liens précédents).

Vous noterez qu’ainsi, sous réserve des décisions du Conseil d’Etat, c’est l’administration elle-même qui décide quelles circulaires et instructions lui sont opposables.

Le compte Twitter Anti-manuel de droit du travail a d’excellentes formules pour résumer tout cela :

« En quoi consiste l’opposabilité ?
Une interprétation administrative des textes (circulaire, instruction...) ne devrait pas avoir de valeur juridique, car l’administration se transforme impunément en législateur.
Certaines de ces interprétations sont pourtant "opposables" à l’administration.
Comment ? Pour être "opposables", ces circulaires doivent faire l’objet d’une publication sur un site ministériel référencé.
Intérêt ? Bien que ce ne soit pas des textes légaux, les administrés peuvent opposer à l’administration ses propres interprétations.
Limites ? Les circulaires peuvent être imposées à l’administration ou au juge administratif contre l’administration en cas de refus. En revanche, entre administrés, il ne s’agit que d’une interprétation que le juge civil peut suivre ou non. »

Plus fondamentalement, on peut se demander si le mouvement de développement des circulaires n’a pas créé les conditions de sa propre limitation. En se développant, elles ont inévitablement attiré l’attention des entreprises et juristes qui se sont fié à elles pour sécuriser leurs actions et leurs montages juridiques [24]. Toute contestation de l’administration menait alors fréquemment au contentieux, l’entreprise estimant pour sa part qu’elle avait appliqué le droit et l’administration (le plus souvent suivie par le Conseil d’Etat) répliquant que seuls la loi et le règlement valent, et que la circulaire n’est pas opposable. D’autant que le Premier ministre ne voulait (et ne veut toujours) pas se retrouver lié par un texte qu’il n’a pas contresigné.

La loi ESSOC et ce décret d’application ne sont que les derniers épisodes en date du débat, avec cette fois un renversement des fronts : l’opposabilité étant devenue le principe, l’administration assèche le lac où s’abreuvaient les entreprises et les particuliers, et ce, de deux manières :

  • en retirant massivement de circulaires.gouv.fr les circulaires qui ne sont plus à jour et, depuis la loi ESSOC, selon toute probabilité, également celles qui ne lui sont in fine pas favorables et dont elle redoute qu’on les lui oppose
  • et, depuis 2019, en n’inscrivant que très peu parmi les nouveaux textes sur la liste des documents opposables sur le site ministériel.

Un lac que l’administration (les ministères en tout cas) avait pourtant développé initialement pour ses propres besoins — probablement sans anticiper le contentieux qui allait en découler. C’est peut-être pour ces mêmes besoins que le Premier ministre a fini par lâcher la bride et accepter une sorte de "come back" des ministères, sous la forme des BO, des sites ministériels et de leurs listes de documents opposables et du nouveau régime de publication obligatoire.

A l’origine : le droit à l’erreur et la loi ESSOC

Pourquoi parler du droit à l’erreur ?

Parce que l’origine de cette modification du régime de publication et d’opposabilité des circulaires et instructions, il faut aller la chercher dans la volonté de la majorité issue des élections de 2017 de donner une sorte de ”droit à l’erreur" aux entrepreneurs, startups et TPE.

Cette aspiration s’est traduite dans la loi ESSOC (loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance), dite loi sur le droit à l’erreur.

Or, on le sait par certains titres de la presse économique et financière, voire généraliste, l’administration a œuvré pour limiter la portée et les effets de ce texte. Déjà, la rédaction du texte législatif en a porté certaines marques. Ainsi le dernier alinéa de l’article L 312-3 CRPA, tels que créé par la loi, dispose : « Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement. »

Mais ce qui est vraiment remarquable, colle on va le voir, c’est que ce n’est pas seulement la loi, mais aussi et surtout le décret qui limite la portée du droit à l’erreur.

Le II de l’article 20 de cette loi dispose : « Art. L. 312-3 [du Code des relations entre le public et l’administration] - Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret. » « Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par [une circulaire ou une instruction] pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée », dit également la loi ESSOC à travers l’alinéa 2 du nouvel article L. 312-3 CRPA.

C’est nouveau : avant, ce n’était qu’en droit fiscal voire social que le public pouvait se prévaloir des circulaires.

Or, reprenant le dernier alinéa de l’article L. 312-3 CRPA, le décret de 2018 précise que si une personne s’appuie sur une erreur d’interprétation dans une circulaire, cette interprétation erronée ne pourra, selon le décret, être opposable si elle va contre les « dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement » (notion apparemment proche de celle d’ordre public). En clair : si la circulaire fait une erreur d’interprétation qui contredit le droit le plus impératif, c’est ce droit impératif qui gagne.

Le décret insiste lourdement, en insérant dans le CRPA un art. R. 312-10 nouveau qui oblige les BO à rappeler à leurs visiteurs cette règle limitative : 
« Art. R. 312-10. - Les sites internet sur lesquels sont publiés les documents dont toute personne peut se prévaloir dans les conditions prévues à l’article L. 312-3 précisent la date de dernière mise à jour de la page donnant accès à ces documents ainsi que la date à laquelle chaque document a été publié sur le site.
« Ces sites comportent, sur la page donnant accès aux documents publiés en application de l’article L. 312-3, la mention suivante : “Conformément à l’article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration, toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par les documents publiés sur cette page, pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée, sous réserve qu’elle ne fasse pas obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement." »

De ce côté-ci, les services du Premier ministre limitent la casse.

Toutefois, on l’a vu au début de ce billet, ce sont sur des sites ministériels que ces « documents administratifs » sont publiés désormais et non plus sur le site unique circulaires.gouv.fr. De plus, pour qu’il soit opposable à l’administration, le texte doit être mentionné sur la liste des documents opposables sur le site ministériel. De ce côté-là, c’est donc une perte d’influence des services du Premier ministre. Perte d’influence d’autant plus que les FAQ, guides et autres supports de droit dit souple ou mou se sont multipliés ces dernières années, particulièrement depuis la pandémie de Covid-19.

On peut touitefois se demander si la circulaire de novembre 2018 du directeur de cabinet du Premier ministre sur le développement du "cloud" administratif [25] ne va pas de facto dans le sens du Premier ministre. En effet, une fois sur le cloud, les fichiers sont plus faciles à surveiller : ce n’est plus qu’une question de droits d’accès.

Si la loi sur le droit à l’erreur n’était pas passée par là, aurait-on pu s’épargner toutes ces complications ? Peut-être ...

Acharnement ... thérapeutique ?

On a beau adhérer à l’idée que les circulaires ne sont pas faites pour modifier la loi et la réglementation dans le dos du Parlement et (surtout) du Premier ministre, et que prendre des précautions pour éviter cela est donc légitime, on peut se demander si le zèle anti-circulaire des services du Premier ministre ne commence pas à ressembler à de l’acharnement.

Or ces "textes officiels sans effet contraignant" [26] ont quand même, au-delà de leurs éventuelles interprétations contra-legem et "contra-PM" [27], des vertus :

  • aider à la compréhension du droit brut : ne dit-on pas que les circulaires et instructions sont la « doctrine de l’administration » ? Et l’utilité première de la doctrine n’est-elle pas d’expliquer la jurisprudence et les textes ?
  • garantir l’application d’une réforme. Les spécialistes du droit et des sciences politiques le savent : sans circulaire d’application, une réforme sera peu ou pas appliquée (plutôt pas). Jean-Pierre Jouyet, haut fonctionnaire ayant servi sous des gouvernements de droite comme de gauche, ex-membre du cabinet du Premier ministre, ex-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, ex-secrétaire général de l’Elysée, le reconnaît sans ambages dans son dernier ouvrage L’envers du décor [28] : « Pour qu’une entreprise ou un citoyen soient en mesure de comprendre leurs droits, il faut attendre la fin d’un long processus. La loi, mais aussi les décrets, arrêtés et circulaires qui lui sont attachés [...]. Il vous est impossible, avant que la dernière circulaire soit signée, de réclamer la moindre explication à un fonctionnaire responsable ou réputé tel pour comprendre les conséquences de tel acte sur votre situation personnelle. »

Les grands arrêts du Conseil d’Etat sur les circulaires et instructions

  • l’arrêt Duvignères du Conseil d’Etat du 18 décembre 2002, arrêt de référence sur le sujet, peut se résumer ainsi : font grief (et sont donc susceptibles de recours) les circulaires comportant une interprétation (d’un texte réglementaire) impérative à caractère général. Le critère pour annuler une circulaire ou une instruction (fiscale) est son caractère « impératif ». Voir le commentaire de l’arrêt à la revue Actualité juridique Droit administratif [29] et à la Revue générale du droit [30] ou cette présentation sur le site Fallait pas faire du droit [31]
  • l’arrêt Auberge Ferme des Genêts du 19 février 2003, qui transpose en droit fiscal l’arrêt Duvignères : « Les dispositions des instructions fiscales qui présentent un caractère impératif sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. » Inversement, « le refus d’abroger une note administrative dépourvue de caractère impératif est lui-même dépourvu de caractère impératif ». Ne pas oublier par ailleurs que le contribuable qui "obéit" à une instruction/au BOFiP voir son montage fiscal devenir ipso facto inattaquable. C’est la spécificité des "circulaires fiscales" par rapport aux circulaires non fiscales
  • l’arrêt Friadent du 16 décembre 2005. Restrictif par rapport à Duvignères, il a néanmoins une portée limitée : selon le blog Droit vivant, les réponses ministérielles qui expriment une interprétation d’un texte conformément à sa portée ne constituent pas des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux [32]. Autrement dit, bien que considérées comme faisant partie de la doctrine administrative, les réponses ministérielles, contrairement aux instructions fiscales et publications au BOFiP, ne sont pas contestables devant le Conseil d’Etat
  • l’avis Monzani du 8 mars 2013. Voir le commentaire à la Revue des droits et libertés fondamentaux (RDLF) [33]
  • l’arrêt GISTI n° 418142 du 12 juin 2020 fusionne les jurisprudences Fairvesta, Duvignères et Crédit foncier de France (ce dernier : CE, sect., 11 déc. 1970, n° 78880, sur les directives devenues lignes directrices). Selon Dalloz Actualité du 16 juin 2020 : « La Haute juridiction était saisie par le GISTI d’un recours contre une "note d’actualité" de la police aux frontières relatives aux fraudes documentaires sur les actes d’état civil en Guinée. Elle pose la règle selon laquelle les "documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices."
    La section précise l’office du juge, en fusionnant les règles issues de l’arrêt de section de 2002 et de l’arrêt d’assemblée de 2016. "Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure." »

NB : avec le nouveau régime d’opposabilité créé par la loi ESSOC d’août 2018, on peut se demander si ce régime jurisprudentiel n’est pas appelé à évoluer à nouveau. Notamment parce que la combinaison de la lettre des articles L 312-2 et L 312-3 CRPA implique que désormais, les rares réponses ministérielles reproduites sur le site ministériel dédié (mais pas les autres ...) seraient opposables à l’administration. Cela dit, elles sont si rares ... Par exemple, aucune au 23 février 2023 sur le site dédiée de Bercy. Sur ce sujet de la valeur et opposabilité des réponses ministérielles après la loi ESSOC, voir : L’élargissement de la portée juridique des réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires (À propos de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 et de la réponse écrite du Premier ministre du 6 novembre 2018, publiée dans le JO Sénat du 8 nov. 2018, p. 5748), par Thomas Ehrhard, Constitutions, 2019, p. 47 :

« Cette reconnaissance de la valeur juridique des réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires n’est toutefois pas un principe absolu, celle-ci étant soumise à trois conditions.
La première est une limite de fond en ce que ce principe ne vaut pas pour toutes les questions parlementaires mais seulement pour celles dont "les ministres considèrent qu’elles donnent une interprétation de la règle de droit qui doit être rendue opposable à l’administration". Cette limite est cohérente, d’une part, avec la jurisprudence antérieure accordant une valeur juridique aux réponses ministérielles en matière fiscale à condition qu’elles contiennent une interprétation de la loi. D’autre part, cette limitation recoupe celle valable pour les instructions, circulaires et notes ministérielles qui ne sont opposables que si elles comportent "une interprétation du droit positif". Ces dernières le sont cependant également dans le cas où elles comportent "une description des procédures administratives" (art. L. 312-2).
La deuxième est une limite formelle relative à la publication, sur des sites internet désignés, par décret des documents opposables à l’administration. Dans sa réponse], le Premier ministre indique que ces sites internet "auront vocation à accueillir prioritairement les circulaires par lesquelles les ministres donnent aux services chargés de mettre en oeuvre les politiques publiques du ministère des instructions sur la manière dont les textes législatifs et réglementaires doivent être interprétés et appliqués". Si elle n’exclut pas les réponses ministérielles, cette précision nuance toutefois la portée de la reconnaissance de la valeur juridique qui leur est conférée. Les sites internet recensant les documents opposables à l’administration n’ont pas vocation à comprendre l’ensemble des réponses ministérielles. Ce qui est confirmé, ensuite, par l’utilisation d’un article indéfini qui exclut une partie des questions écrites ("des réponses aux questions écrites des parlementaires pourront également y être publiées"). C’est dorénavant au ministre qu’il appartiendra "de décider (...) de publier la réponse, sans que les critères de ce choix ne soient définis et connus".
La troisième limite résulte de la possibilité donnée au ministre de "publier une circulaire qu’il aura adressée aux services pour attirer leur attention sur l’interprétation retenue dans cette réponse", ce qui revient à substituer une réponse ministérielle à une circulaire et relativise de facto leur reconnaissance en tant que document administratif opposable. »

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Le cas des notes de service

Les notes de service et autres mesures d’ordre intérieur (MOI) [34] n’ont pas à être publiées pour être opposables. En effet, comme officiellement, elles ne concernent pas les administrés, leur opposabilité n’existerait donc pas par nature [35].

Mais comme on le voit dans certains cas, ça peut être limite. Voici un exemple cité sur la liste de discussion Juriconnexion le 19 septembre 2019 : dépêche du ministère de la Justice CRIM 2013/0145/C16 relative au protocole cadre sur le traitement des mains courantes et les procès-verbaux de renseignements judiciaires en matière de violences conjugales, et à sa mise en œuvre au niveau départemental en date du 30 décembre 2013. Les mains courantes, ce sont les administrés qui les déposent et il leur arrive de les utiliser dans une procédure pénale. Donc cette note de service les concerne indirectement. Et, comme le dit très bien l’article de Wikipedia sur les MOI : « Bien que présentant une certaine normativité, [ces textes] ne sont pas reconnus par le juge administratif comme faisant grief » [36]. L’absence de grief, en droit administratif, empêche de contester la mesure devant le juge administratif (impossible de faire un recours pour excès de pouvoir), donc a fortiori de la faire annuler par lui.

L’administration communique donc très rarement les notes de service. Surtout avec l’évolution vers circulaires.gouv.fr et le BOFiP, où le Premier ministre est devenu défavorable aux textes de niveau infra-réglementaires. Les circulaires, passe encore, mais les notes de service !

On peut plaider que communication n’est pas publication, certes, mais ce serait prétendre ignorer que de nos jours, dès que vous avec un document, vous pouvez le dupliquer, le transmettre et/ou le publier en ligne avec une facilité déconcertante. De surcroît le demandeur de la note de service n’est pas son destinataire officiel.

Point important : un texte émis par l’administration et non dénommé "circulaire" ou "instruction" (appelé par exemple directive ou note) a peu de chances d’être reconnu par l’administration comme appartenant à la catégorie des circulaires et instructions. Et donc d’être publié. D’autant que si l’administration qualifie un texte de note de service, cela donne ipso facto à l’administration la possibilité de refuser sa publication et même sa simple communication, ce qui empêche donc de vérifier en détail si cette « note » aurait en réalité des effets sur les administrés. Par ailleurs, l’absence de grief supposée ainsi que d’informations détaillées sur le contenu du texte rend quasi-impossible un recours pour excès de pouvoir visant à faire annuler le texte par le juge. La boucle est bouclée. CQFD !

Les autres supports de droit souple (FAQ, guides, Code numérique du travail, communiqués de presse ...)

FAQ, guides, Code numérique du travail ... : ces documents non réglementaires publiés (en ligne) par les ministères et les administrations font partie du phénomène du droit mou, en plein développement. Ils sont de plus en plus fréquents. La journaliste en droit social Florence Mehrez, sur son compte Twitter, soutient que ces outils n’ont aucune valeur juridique. C’est-à-dire que les entreprises ne pourront pas les invoquer en cas de contentieux.

C’est le principe. Mais il a ses exceptions : le Conseil d’Etat a récemment donné une valeur juridique (textes faisant grief) à des textes de droit souple (ce qui les rend attaquables en justice) :

  • une prise de position publique de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) accompagnant la déclaration de situation patrimoniale d’un député (Conseil d’Etat, Assemblée, 19 juillet 2019, n° 426389, publié au recueil Lebon). Selon le cabinet d’avocats Hourcabie, « cette décision s’inscrit dans la continuité de la doctrine du Conseil d’Etat relative aux actes de droit "souple", formulée dans son étude annuelle de 2013, concrétisée ensuite au contentieux par la décision Fairvesta (CE Ass., 21 mars 2016, n° 368082), en vertu de laquelle de tels actes, en ce qu’ils peuvent influencer les comportements différemment des actes de droit "dur", c’est-à-dire par des effets non juridiques, relevant de la réputation et de la référence, doivent pouvoir être contestés par les justiciables concernés ». De manière plus générale, selon Florence Chaltiel, professeur de droit public [37], « si, en principe, le droit souple n’est pas appliqué par le juge comme le serait une règle de droit, il peut être appréhendé par ce dernier sous plusieurs angles. Il arrive que le juge admette la recevabilité de recours dirigés contre des instruments de droit souple, en dépit de leur caractère non contraignant »
  • un avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (Conseil d’Etat, 9e-10e chambres réunies, 4 décembre 2019, n° 415550, publié au recueil Lebon) :
    « 3. Les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance. Ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent. Dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation.
    5. [...] Dans ces circonstances, l’avis attaqué doit être regardé comme faisant grief à la Fédération bancaire française qui est recevable à en demander l’annulation. »
  • voire un communiqué de presse (ici du ministère de l’Agriculture, lié certes à une instruction technique et une note du même ministère) [38]. En réalité, cette reconnaissance des "CP" a au moins un antécédent : l’arrêt CE du 10 juillet 1992 n° 105440 (publié au Rec. Lebon) dit que « les décisions attaquées [...] sont suffisamment motivées dès lors que le communiqué précité mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement » [39].

Exemple récent de ces supports de droit "mou", exposé par F. Mehrez, la gestion du droit du travail pendant la crise sanitaire passe par des "questions-réponses", des "guides", des protocoles et autres "vulgarisations" de ce type [40]. Le ministère du travail, estime-t-elle, a sans doute en tête de les intégrer au fameux code du travail numérique qui regroupe des analyses du ministère sur son site et qui permet à l’employeur, tout au plus, de prouver sa bonne foi devant les juges s’il a suivi ces recommandations.

Attention : ces documents sont réactualisés tous les jours. Allez donc prouver que le jour où vous l’avez appliqué il disait bien cela (captures d’écran ?) ... Avant, on avait des circulaires ministérielles datées et publiées qui pouvaient être opposées à l’administration dès lors qu’elles étaient publiées sur circulaires.gouv.fr et circulaires.gouv.fr est archivé sur data.gouv.fr — un gros avantage en terme de preuve. Or elles sont désormais plus rares (cf supra). Ces QR/FAQ non seulement sont modifiées régulièrement — avec ou sans codes couleur — mais, qui plus est, comportent des inexactitudes juridiques susceptibles d’induire en erreur les entreprises et les salariés.

Certains s’interrogent publiquement d’ailleurs sur l’opposabilité et l’invocabilité du Code numérique du travail, en partant des différents critères mobilisés traditionnellement pour qualifier un acte de l’administration et savoir s’il est susceptible de faire l’objet d’un recours. Le code du travail se contente de préciser que « l’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du "code du travail numérique" est, en cas de litige, présumé de bonne foi ». Ce qui en soi ne préjuge en rien de la décision des juges, ni du contenu du Code du travail numérique dont les contours ne sont pas très clairs. Ils pensent que cela pourrait être vu comme une "modification de l’ordonnancement juridique" ... Et donc bien un acte susceptible de recours ?

Bibliographie : les ouvrages

Ouvrages spécialisés :

  • sur la jurisprudence du Conseil d’Etat et son évolution, voir aussi les dernières éditions des grands manuels et traités de droit administratif : Olivier Gohin, Benoît Plessix [41], Gaudemet, Petit et Frier, Jean Waline (successeur du manuel de Rivero) ... et plus anciens Chapus, Laubadère et le cours de Raymond Odent
  • Droit administratif français, manuel en ligne (sur le site de la Revue générale du droit) par Pierre Tifine, professeur de droit public à l’Université de Lorraine : voir la Partie 4 Les actes administratifs
  • l’ouvrage "Les circulaires administratives" (Economica, 2003) du professeur Koubi (pas à jour du nouveau régime de publication lié à l’arrivée de circulaires.gouv.fr puis de la loi ESSOC et parfois peu clair, même s’il faut reconnaître que la jurisprudence sur les circulaires manque elle-même de clarté) et son blog Droit cri-TIC (non mis à jour depuis le 1er septembre 20419, hors ligne depuis fin 2022, archivé sur archive.org).

Certains de ces ouvrages n’ayant pas d’édition à jour, on consultera aussi les ouvrages à mise à jour en droit administratif :

  • JurisClasseur Administratif (LexisNexis)
  • Répertoire de Contentieux administratif (Dalloz).

Pour des articles de revues juridiques sur ce sujet (peu nombreux hélas), voir les notes de bas de page.

Principaux billets publiés sur ce blog sur le sujet (ne sont plus à jour)

La liste infra est donnée à titre historique, le régime de publication, applicabilité et opposabilité des circulaires et instructions ayant beaucoup changé récemment. Ne pas se fonder sur ces billets pour connaître le régime actuel.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique

Notes

[2Les circulaires ont donc beaucoup à voir avec l’effectivité du droit.

[3Article R 312-7 CRPA : « Les instructions ou circulaires qui n’ont pas été publiées sur l’un des supports prévus par les dispositions de la présente section ne sont pas applicables et leurs auteurs ne peuvent s’en prévaloir à l’égard des administrés.
A défaut de publication sur l’un de ces supports dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées. »

[4Article R. 312-10 al. 3 CRPA : « Les circulaires et instructions soumises aux dispositions de l’article R. 312-8 sont publiées sur les sites mentionnés au premier alinéa au moyen d’un lien vers le document mis en ligne sur le site mentionné à ce même article. »

[5Tous les BO des ministères sont uniquement en version en ligne, depuis longtemps maintenant. Voir notre billet Dématérialisation des bulletins et journaux officiels : le point dessus, et quelques inconvénients.

[7Circulaire réglementaire sur site web à ne contester que dans les délais ..., par Geneviève Koubi, Droit cri-TIC, 20 juin 2019.

[8Conseil d’Etat, 20 mars 2019, n° 401774 (mentionné dans les tables du recueil Lebon), Mme A. C. (extraits) :
« 3. Aux termes du premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction en vigueur à la date d’introduction de la requête : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
4. En l’absence d’obligation, résultant d’un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française, de publier un acte réglementaire dans un recueil autre que le Journal officiel, la publication dans un tel recueil n’est pas, en principe, de nature à fait courir le délai du recours contentieux. Il n’en va autrement que si le recueil dans lequel le texte est publié peut, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d’avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision.
5. La circulaire attaquée du 9 juin 2015 a été mise en ligne le 9 juillet 2015, dans son intégralité, sur le site internet du ministère de l’enseignement supérieur, dans la rubrique dédiée au Bulletin officiel, dans des conditions permettant un accès facile et garantissant sa fiabilité et sa date de publication. Eu égard à l’objet et aux bénéficiaires des dispositions de cette circulaire, cette diffusion était de nature à assurer le respect des obligations de publication à l’égard des personnes ayant un intérêt leur donnant qualité pour la contester. »

[9De la « publication officielle » des circulaires et instructions, commentaire par Geneviève Koubi et Wafa Tamzini, JCP A n° 51-52, 26 décembre 2018, 2343. Lire aussi : Le régime de publication des circulaires et instructions : entre tentative de rationalisation et incertitudes persistantes, précité.

[10Article R. 312-7 CRPA :
« Les instructions ou circulaires qui n’ont pas été publiées sur l’un des supports prévus par les dispositions de la présente section ne sont pas applicables et leurs auteurs ne peuvent s’en prévaloir à l’égard des administrés.
A défaut de publication sur l’un de ces supports dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées. »

[11Je n’avais pas vu ce changement lors de la publication du décret de novembre 2018. Il faut dire que le décret est peu clair et que les commentaires bien informés de cette réforme furent extrêmement rares (on les compte sur les doigts d’une main ...). C’est une question d’un lecteur de ce blog, début 2021, qui m’a mis la puce à l’oreille. Oubli corrigé tardivement le 8 mars 2021. Mes excuses à mes lecteurs.

[12Voici le fondement, au CRPA, de l’obligation du couple fichier sur circulaires.legifrance.gouv.fr / lien ailleurs :
Art. R. 312-10 al. 3 : « Les circulaires et instructions soumises aux dispositions de l’article R. 312-8 sont publiées sur les sites mentionnés au premier alinéa au moyen d’un lien vers le document mis en ligne sur le site mentionné à ce même article. »
Art. R. 312-8 : « Par dérogation à l’article R. 312-3-1, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat sont publiées sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. »
Vous noterez que tout cela est mentionné au présent de l’indicatif : en légistique française, l’usage du présent de l’indicatif est une convention qui signifie que c’est obligatoire. Cf Guide légistique : Conseils méthodologiques pour une bonne écriture de la loi, Sénat, Direction de la séance, octobre 2020, p. 47. Extrait : « En droit, l’utilisation du présent de l’indicatif suffit à donner valeur
obligatoire au dispositif. »

[13Réponse ministérielle du 9 août 2012 du ministre de l’Intérieur, répondant à la question écrite n° 1534 de M. Jean Louis Masson (question publiée au JO Sénat 9 août 2012 p. 1804, réponse publiée au JO Sénat 4 octobre 2012 p. 2171).Voir aussi notre billet Régime de publication des circulaires : trois précisions (interprétations ?).

[14Article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.

[15Art. L 312-2 al. 1er CRPA : « Font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. ». Créé par ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l’administration (JORF n° 248 du 25 octobre 2015 p. 19872 texte n° 2).

[16Exercice auquel le Secrétariat général du Gouvernement, lui, se livre quotidiennement sur les textes officiels, qu’il « chaîne » (relations d’application, abrogation ...).

[17Circulaire n° 5515/SG du Premier ministre du 25 février 2011 sur les circulaires adressées aux services déconcentrés (rappelant les conditions de publication d’une circulaire). Circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail, JORF n° 130 du 6 juin 2019 texte n° 1 (voir le V. de la circulaire). Extrait de cette circulaire du 5 juin 1019 : « la proportion des circulaires signées personnellement par les ministres est très faible ».

[18Le ministère de la Culture est ainsi chargé de défendre le droit d’auteur et de facto, se fait quasi-systématiquement le défenseur de l’industrie culturelle et des ayants droits, comme l’ont montré par exemple les débats sur la HADOPI.

[19Les blocages parlementaires limitent le nombre de nouvelles lois, par Pierre Januel, Dalloz Actualité, 26 mai 2023.

[20Textes officiels dont les circulaires et instructions ne font justement pas partie.

[21Cf le vocabulaire de l’alinéa 2 de l’article 1er du décret du 8 décembre 2008 qui a créé circulaires.gouv.fr (le gras est de nous) : « Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site [circulaires.gouv.fr] n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés. ».

[22Décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, JORF n° 287 du 10 décembre 2008. Voir notre billet Circulaires et instructions : un site web du Premier ministre devrait les publier et les rassembler.

[24Après tout, dans un pays doté depuis la fin du Moyen-Âge d’une administration forte et centralisée, il est compréhensible qu’aux yeux des entreprises et des juristes, la "parole" de cette administration vaut au moins autant que celle du juge et certainement plus que celle de la doctrine.

[26L’expression est de nous. Un peu rapide et simplificatrice, certes, elle offre cependant l’avantage de résumer la contradiction interne qui à la racine de la nature même des circulaires et instructions, de leurs avantages et de leurs inconvénients.

[27PM : Premier ministre.

[28L’envers du décor, par Jean-Pierre Jouyet, Albin Michel, 2020, p. 146.

[29Les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction font grief, par Francis Donnat et Didier Casas, maîtres des requêtes au Conseil d’Etat, AJDA 2003 p. 487.

[30Les recours contre les circulaires, commentaire sous CE, Sect. 18 décembre 2002, Dame Duvignères, requête numéro 233618, par Pierre Tifine, RGD 13 avril 2012.

[31L’ancienne jurisprudence était l’arrêt Institution Notre-Dame du Kreisker (CE Ass. 29 janvier 1954, Lebon p. 64) : les circulaires ne posant aucune règle nouvelle, dites "purement interprétatives", étaient considérées comme des actes ne faisant pas grief et donc insusceptibles de contestation. En revanche, ces circulaires devaient être distinguées de celles de caractère réglementaire, susceptibles d’être constestées. Le critère pour annuler une circulaire ou une instruction (fiscale) était son caractère « réglementaire ».
L’article circulaire sur Jurispedia, hélas pas à jour de Duvignères, donne plusieurs exemples très nets des reproches faits à la jurisprudence ND du Kreisker.
L’explication donnée par les auteurs du commentaire à l’AJDA, eux-mêmes membres du Conseil d’Etat, est importante pour bien comprendre le changement opéré par la jurisprudence Duvignères. Je la reproduis :
« La jurisprudence Duvignères ne diffère aucunement, quant à ses effets, de celle Notre-Dame du Kreisker, qui permettait déjà au juge de se saisir de la règle de droit nouvelle posée par la circulaire. Elle s’en détache, en revanche, lorsqu’elle affirme que le juge devra également censurer la circulaire impérative qui " réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure " c’est-à-dire répétant, par exemple, un texte illégal ou, dans le cas de la loi, incompatible avec les stipulations d’une norme internationale. » Dans le cas Duvignères, le décret qu’appliquait (sans aucune interprétation) la circulaire annulée par le CE était en effet illégal. Et « il ne va pas de soi de considérer comme faisant grief une instruction ministérielle se bornant à répéter un texte déjà illégal lui-même. [...] Si le CE accepte de faire l’effort de considérer que fait grief une circulaire impérative se bornant à répéter une règle illégale, alors que cette circulaire n’a évidemment par elle-même aucun effet juridique, c’est par souci de réalisme et d’efficacité. Le juge de l’administration sait bien comment celle-ci fonctionne : parce que les services appliquent avant toute chose la circulaire plutôt que la loi ou le décret qu’elle entend expliciter, il est préférable de prévenir le plus en amont possible le risque de contentieux individuels causés par l’application d’une circulaire demandant aux services d’appliquer une règle — fût-elle de valeur législative — méconnaissant une norme supérieure. »
Un autre point important dans la jurisprudence Duvignères est exposé dans l’analyse de cette décision par le Conseil d’Etat lui-même : « Elle opère, par là même, une plus nette distinction entre les conditions d’appréciation par le juge, d’une part, de la recevabilité d’un tel recours, d’autre part, de son bien-fondé. »

[32La portée de la doctrine administrative en droit fiscal, par anottey, Droit vivant, 24 mars 2015.

[34Voir, sur l’évolution récente de la jurisprudence administrative sur le sujet et la conception la plus récente des MOI : Les mesures d’ordre intérieur, Lord of Law ; Le juge administratif et les mesures d’ordre intérieur, par Christophe Georges Albert, Village de la Justice, 17 février 2012. Limites des mesures d’ordre intérieur en matière pénitentiaire : déclassements d’emploi et changements d’affectation des détenus, conclusions sur Conseil d’Etat, Assemblée, 14 décembre 2007, M. Planchenault (1re espèce), et Garde des sceaux, ministre de la Justice c/ M. Boussouar (2e espèce), par Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement, RFDA 2008, p. 87.

[35Comme l’explique l’encyclopédie Wikipedia française :
« Une mesure d’ordre intérieur est en droit administratif français un acte administratif unilatéral adopté par un chef de service à l’attention des agents de ce service ou éventuellement de ses usagers. Bien que présentant une certaine normativité, ils ne sont pas reconnus par le juge administratif comme faisant grief.
Cette catégorie est apparue en jurisprudence pour des raisons pratiques (de minimis non curat praetor).
De minimis non curat praetor est un adage juridique en latin qui signifie que le préteur (magistrat romain chargé d’organiser la tenue des procès) ne doit pas s’occuper des causes insignifiantes. De manière plus globale, l’expression signifie aussi : " Le chef ne s’occupe pas des détails. "
En droit administratif français, cet adage justifie la position du juge administratif qui refuse d’accueillir les recours pour excès de pouvoir portant sur des actes administratifs de faible portée. C’était le cas par exemple des mesures d’ordre intérieur. Cependant, le champ de ces mesures s’est considérablement réduit avec l’arrêt du CE 1995 Hardouin et Marie (commenté au GAJA), mais n’a pas totalement disparu (ainsi, la décision d’affecter un élève dans une classe plutôt que dans une autre n’est toujours pas susceptible de recours devant le juge administratif, de même que le refus d’accorder un rendez-vous). »

[36Conception des MOI selon le professeur Odent, cf son fameux cours.

[37Nouvelle extension de la justiciabilité du droit souple : À propos de l’arrêt du Conseil d’État du 19 juillet 2019, par Florence Chaltiel, les Petites Affiches, 30 octobre 2019, n° 148s9, p. 4.

[38Communiqué de presse du ministère de l’Agriculture sur les distances d’épandage des pesticides par rapport aux habitations : Conseil d’État 3ème - 8ème ch. réunies, 22 octobre 2021, n° 440210, Générations Futures. Toutefois, il faut considérer que l’annulation de l’instruction et de la note enlève le fondement du communiqué

[39Voir ce fil Twitter initié le 26 octobre 2021 par Vincent Granier.

[40Entre autres, publiés sur le site web du ministère du Travail : FAQ télétravail Covid-19, protocole national Covid-19 en entreprise.

[41Certes, le traité de droit administratif de Plessix n’est est qu’à sa 2e édition, mais plusieurs critères font penser qu’il devrait devenir un classique : l’auteur a soutenu sa thèse en 2001, sur un sujet difficile et "malin" (L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif), il est agrégé de droit public, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris Il), il co-dirige la revue Droit administratif et préside actuellement l’Association française pour la recherche en droit administratif (AFDA).