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Thèses en droit : open access ou pas ?
Peut-on exiger des docteurs qu’ils mettent en open access leur thèse ?

TL ;DR / Résumé :

  • Peut-on exiger des docteurs qu’ils publient en open access leur thèse ? Légalement, on ne peut pas. La loi République numérique ne parle en effet que d’une possibilité d’open access, pas d’une obligation. C’est pour l’instant aux institutions universitaires (CNRS, Universités locales, écoles doctorales ...) de définir leur politique, et de rendre l’open access éventuellement obligatoire pour leurs chercheurs/universitaires par leurs décisions locales, comme à l’Université d’Angers.
  • Quant aux thèses en droit, vu les habitudes actuelles et bien ancrées pro-éditeurs du milieu juridique, les auteurs mettant leur thèse en ligne, même après un embargo, sont à féliciter et encourager.

Le jury du prix de thèse 2022 du Conseil constitutionnel, a primé Mme Rym Fassi-Fihri pour sa thèse : « Les droits et libertés du numérique : des droits fondamentaux en voie d’élaboration : étude comparée en droits français et américain ».

Question d’un twittos : « Est elle disponible en lecture ? » Sous-entendu : gratuitement, en open access. Et là, gros débat.

Réponse sur la fiche de la thèse sur le site theses.fr : « Le texte intégral de cette thèse sera accessible librement à partir du 01-01-2023. Il est disponible au sein de la bibliothèque de l’établissement de soutenance. »

Au vu du plan Science ouverte et des propos du ministre, un entrepreneur de logiciels libres critique le fait que l’auteure ne mette pas sa thèse immédiatement en accès libre.

Peut-on actuellement reprocher aux docteurs de ne pas mettre en open access leur thèse ? Non.

Ce reproche me semble immérité. Au contraire, j’estime qu’au vu de la culture française peu partageuse en matière de thèses, tout particulièrement en droit, il est très méritoire de la part de l’auteure d’avoir choisi un open access au bout d’un an, i.e., un embargo restreint.

Mes lecteurs ne seront pas surpris de mon analyse et de ma position. Sur tout ce qui concerne le mouvement libre, dit "open" (open source, open data, open access), je ne suis ni un partisan farouche du libre, ni de la propriété intellectuelle stricte. Je ne suis une idéologie ni un camp précis [1]. Sauf peut-être celui de la défense du droit français. Je cherche et défend ce qui est efficace et qui fait évoluer en faveur de l’efficacité et de l’influence du droit français [2].

De ce que je sais (confirmé par Maïté Roux de l’ABES) :

  • la mise en forme/vérification et mise en ligne par les BU + l’ABES peut prendre un certain temps. C’est un chaîne de traitement
  • l’auteur est libre (droit d’auteur) de :
    • diffuser sa thèse par un éditeur
    • la mettre en open access immédiatement ou plus tard, à une date donnée (embargo), ou pas du tout.

NB : il n’y a pas de durée maximale d’embargo fixée. Moyenne nationale des embargos = 1 an.

Le plan Ouvrir la science et le Fonds national pour la science ouverte

Selon mon contradicteur :

« La ministre l’a dit : "quand la recherche est financée par des fonds publics, les résultats doivent être en open access". On peut évidemment jouer sur la durée d’embargo mais ça ne serait pas très fair play. Il y a un vrai plan annoncé l’an dernier [le plan Ouvrir la science] et un travail de fond d’un comité compétent. »

Oui, mais : le CNRS et l’Université d’Angers sont les seuls à avoir pris cette option à l’heure actuelle [3]. Il y a en plus des avancées réelles de l’OA notamment chez les éditeurs privés de Cairn et ailleurs (Couperin).

Mais tout ça n’est pas le droit positif — ce que les gens appellent "la loi". Si le ministre veut réellement imposer à l’ensemble du monde scientifique et universitaire français une politique d’open access obligatoire, alors qu’il prenne une circulaire.

Maïté Roux explique :

« La question de la diffusion de toutes les thèses en accès ouvert se pose régulièrement, notamment dans le cadre de la politique nationale pour la science ouverte, qui est très volontariste.
Néanmoins, cette politique volontariste est d’abord pensée pour les articles. Or, les thèses sont un objet documentaire différent, dont le statut juridique est différent.
La Loi pour une République Numérique évoque les articles sur fonds publics, mais pas les thèses. Le plan national pour la science ouverte semble vouloir étendre les dispositions prises pour les articles aux thèses, mais, concrètement, rien n’est fait dans la réglementation.
Si la réglementation ne suit pas, on ne peut pas aller à l’encontre du Code de la propriété intellectuelle sur la simple base d’un plan ministériel.
Le ministère a travaillé à la révision de l’arrêté de 2016 sur le doctorat, qui parle de la diffusion des thèses. Cela aurait été l’occasion d’aborder cette question, mais cela n’a pas été fait, malheureusement.
Le ministère aurait pu proposer que les thèses financées sur fonds publics (ce n’est pas le cas de toutes les thèses) soient mises en accès libre après un embargo de 6 mois ou 1 an. Ca n’a pas été fait. »

Sinon, à propos du plan Ouvrir la science : ce sont des actes sans grands moyens ...

Quel est le montant du Fonds national pour la science ouverte (FNSO) ? Il est « doté d’un budget de 2,15 Mions € et destiné aux projets et aux initiatives à ancrage français ». 2 millions d’euros, c’est très peu.

Qui alimente ce fonds ? Réponse : « des dotations ministérielles et par contributions volontaires en provenance des établissements d’enseignement supérieurs de recherche et d’innovation. Il peut recevoir également des contributions d’associations, de fondations et de mécènes. »

D’où : la vraie question est : quelle est la part de l’Etat là-dedans ?

La question du financement des thèses

Le fondement de la loi République numérique c’est que les articles sont indirectement financés sur fonds publics ...

D’où question : y a-t-il des juristes doctorants non boursiers non chercheurs et non financés par leurs parents (une thèse en droit, c’est quand même entre 3 et 5 ans de travail) ?

Réponse de Maïté Roux :

« Les chiffres nationaux concernant le financement des thèses sont disponibles dans le rapport annuel Repères et références statistiques.
Les chiffres pour les sciences humaines et sociales (SHS) sont mauvais. Moins de la moitié des doctorants sont financés. Malheureusement la typologie disciplinaire est très large et il n’y a pas de chiffres précis pour le droit.
Ne sont pas comptabilisés les financements par les parents, financements de l’ombre mais ô combien importants pour les doctorants et pour tous les étudiants en général. »

Faire une thèse en droit est donc un choix en partie déterminé par les ressources financières/revenus des parents, avec d’inévitables effets de discrimination sociale.

Dans ce cadre, augmenter le financement public semblerait légitime avant de penser à rendre plus ou moins obligatoire la publication des thèses en open access.

On a le droit d’être optimiste en matière d’open access/open data ou d’être très exigeant. Pour ma part, ayant eu les mains dans le cambouis et saisi les contradictions et contraintes très françaises, je reste bassement réaliste et comme Saint-Thomas je veux voir des preuves.

Emmanuel Barthe
partisan raisonné et critique à la fois de l’open access

Notes

[1J’estime par exemple que la politique pro-Gold OA des partisans de l’open access est un échec sur le plan de la maîtrise des coûts.