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La CJCE restreint la définition du critère de l’investissement substantiel

Protection des bases de données : un défaut dans la cuirasse
Pour la Cour de justice européenne, la création du contenu n’est pas un investissement substantiel

Bâtiment de la Cour de Justice des Communautés européennes (Luxembourg)

En matière de droit des bases de données, en quatre arrêts similaires du 9 novembre 2004 [1], les juges communautaires définissent de manière restrictive la notion d’investissement substantiel, en dissociant les coûts de constitution du contenu des coûts de création et de vérification de la base elle-même. Ils définissent également de manière restrictive les extractions substantielles.

Selon le communiqué n° 89/04 du 9 novembre 2004 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) :

  • « La notion d’investissement substantiel, dont dépend la protection du fabricant d’une base de données contre des actes non autorisés de copiage et de diffusion dans le public, ne comprend que les travaux de recherche, de rassemblement, de vérification et de présentation d’éléments existants, et non les moyens utilisés pour la création des éléments constitutifs de la base. »
  • « La notion de partie substantielle du contenu d’une base de données se réfère, d’un point de vue quantitatif, au volume de données extraits et/ou réutilisés et doit être appréciée par rapport au volume du contenu total de la base. D’un point de vue qualitatif, elle se réfère à l’importance de l’investissement lié à l’obtention, à la vérification ou à la présentation de la partie concernée par l’acte d’extraction et/ou de la réutilisation. »

D’une certaine manière, la CJCE fait ainsi prévaloir la liberté de la concurrence sur le nouveau monopole du droit du producteur de base de données créé par la directive 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. [2]

En droit français, du fait de la très grande proximité, pour les juges français, entre les extractions de bases de données et la concurrence déloyale ou le parasitisme, la protection du droit sui generis était accordée quasi-systématiquement [3].

Les actions en concurrence déloyale et parasitisme [4], fondées sur l’article 1382 du Code civil (responsabilité pour faute), sont très courantes devant les tribunaux français et les juges sont peu tolérants envers ces pratiques. Ces actions sont souvent utilisées en substitut ou en complément d’une action en contrefaçon, fondée elle sur le droit d’auteur.

En effet, la protection par le droit d’auteur n’est pas systématique, le critère d’originalité/marque de la personnalité de l’auteur, même élargi de nos jours, exclut encore beaucoup de documents, et notamment de données ... Jusqu’à la transposition de la directive, les producteurs de contenu utilisaient donc les actions en concurrence déloyale ou parasitisme pour protéger au maximum leurs productions.

Avant la directive "bases de données", il restait donc des "trous" dans la cuirasse. D’où la directive. Mais avec ces arrêts de la CJCE, un trou — ou une exception, ou encore une liberté, selon le point de vue — vient de réapparaître.

Il devient ainsi plus difficile d’utiliser le droit sui generis pour protéger un contenu non protégeable par le droit d’auteur mais intégré dans une base de données au sens large du terme (base de données informatique proprement dite ou quasiment tout fichier structuré et doté d’un outil de recherche). Cependant, comme le note Estelle Derclaye [5], rien n’empêche a priori le producteur de la base de restreindre les extractions par des clauses précises dans les conditions générales d’utilisation ou d’abonnement.

Le sens de ces arrêts est d’autant plus net qu’ils ont été rendus sur conclusions contraires de l’avocat général Mme Stix-Hackl, qui estimait que la notion d’obtention n’inclut pas la pure saisie des données, mais qu’en revanche la protection de la directive joue lorsque la saisie coïncide avec le rassemblement et le tri de données existantes et ne peut pas en être dissociée [6].

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique

Notes

[1Arrêts CJCE C-203/02 British Horseracing Board (BHB) c/ William Hill Organisation, C-444/02 Fixtures Marketing c/ Organismos prognostikon agonon podosfairou (OPAP), C-46/02 et C-338/02 du 9 novembre 2004.

[2La directive a été transposée en droit français par la loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le Code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données. Les articles résultant du Code de la propriété intellectuelle (CPI) sont contenus dans le Titre IV du Livre III du CPI.

[3Tout au plus, deux décisions de la Cour d’appel de Paris ont-elles tenté de contrôler de manière précise le caractère substantiel de l’investissement.

[4Pour une présentation de ces deux notions, lire le bref article d’Aurélie Boulet sur le site de Microsoft France : Concurrence deloyale et parasitisme : défense de copier, deux notions juridiques différentes et complémentaires pour lutter contre les indélicats, concurrents ou non, microsoft.com/france, 18 septembre 2002.

[5Interprétation du droit sui generis protégeant les bases de données : note Estelle Derclaye sous CJCE 9 nov. 2004 C-444/02 Fixtures marketing c/ OPAP, et CJCE 9 nov. 2004 BHB c/ William Hill, Propriété industrielle (revue mensuelle du JurisClasseur) mars 2005 p. 34.

[6Pour un résumé des conclusions de Mme Stix-Hackl, lire le communiqué de presse n° 46/04 du 8 juin 2004 de la CJCE.