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Pourquoi continuer à bloguer pour si peu d’audience ?

Pourquoi continuer à poster sur Internet ?
Pourquoi continuer à échanger sur les réseaux sociaux face à tant de "café du commerce" et de polémique ?

Publier sur Internet, sans illusion

Ça fait un moment que je m’interroge sur l’intérêt de participer au débat public à travers mon blog et Twitter.

Et voilà que je tombe sur une interview de la professeure de philosophie Marylin Maeso qui apporte de l’eau à mon moulin [1] (voir son ouvrage au titre hélas peu compréhensible pour les développements complets).

Selon son ouvrage (et je la rejoins) : « Il y a une différence fondamentale entre s’emporter dans un débat télévisé, par exemple, face à quelqu’un, et insulter un écran. La différence, justement, c’est de ne pas voir l’autre, mais surtout de ne pas voir la conséquence de ses propres mots sur l’autre, et cela a un pouvoir de désinhibition qui est assez fondamental. » Elle parle aussi d’une « économie de la colère ou plus spécifiquement concernant les réseaux sociaux, d’une économie de l’indignation ». Je ne souscris pas à tout ce qu’elle dit mais elle décrit bien une part importante du problème.

Les débats sur Internet : café du commerce, invective et violence, trop souvent

Comme elle, j’apprécie la nuance et les arguments, pas l’invective ni la polémique. Les rares fois où un troll/militant aveugle arrive dans mes échanges, je cesse très vite de lui répondre et je le bloque également très souvent. Je ne suis pas le seul : regardez par exemple ce tweet épinglé d’une professeur de droit public [2].

Une façon de dire que malgré la bonne tenue de la très grande majorité des threads auxquels je participe, la bêtise, l’inintérêt et la violence [3] de la très grande majorité des échanges sur les réseaux sociaux me désole. C’est notre ancien café du commerce devenu une agora nationale et parfois mondiale.

Florence Mehrez, journaliste, écrit sur Twitter (et à propos de Twitter et des RS) : « On a beau dire que le pseudonymat n’est pas le problème principal des réseaux sociaux, je ne suis jamais insultée par quelqu’un qui affiche son identité. » Une personne anonyme lui répond : « Peut-être mais tout le monde ne peut pas s’exprimer librement vis à vis de son entourage professionnel et personnel. »

En même temps :

  • s’exprimer librement, c’est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick, surtout quand c’est dit sans nuance
  • les RS semblent avoir comme but principal de permettre aux particuliers de s’exprimer, ce qui le plus souvent se limite à une seule forme d’expression : la protestation et l’indignation. Les RS, de fait et probablement "by design", servent beaucoup moins à s’informer et débattre.

Notre correspondant anonyme précise : « Je pense que ce qui différencie fondamentalement les RS, c’est de pouvoir réagir à une information. Même avec tact et nuance, on n’a pas nécessairement envie d’afficher toutes ces réactions à tout le monde, ni d’apprendre celles de toutes ses connaissances. Donc on préfère rester anonyme. »

Oui, réagir. Ca nous démange tous dans cette société de l’information et de la communication. C’est devenu un quasi-droit, le droit de communiquer son opinion. Qu’elle soit légitime (on s’y connaît ou bien on a lu sur le sujet) ou pas. Qu’on attise la violence ou qu’on nuance. Et avec si peu de nuance, réellement :-/

Et notre correspondant de confirmer : « Souvent c’est vrai. On a espéré beaucoup je pense des RS, une sorte d’intelligence collective et la déception est à la hauteur. Aujourd’hui, je pense qu’ils servent la défiance, à tort ou à raison. »

Après, il y a un vif débat sur les solutions [4], mais je n’ai pas d’avis tranché là-dessus.

Les blogs : baisse d’audience et d’influence

Quant à mon blog, son audience, comme celle de tous les blogs, baisse lentement mais régulièrement. La mode est aux vidéos — y compris en droit [5] — et aux photos "filtrées". Certains de mes billets pourtant très travaillés (plusieurs heures de boulot) font moins de 100 vues au total (exemple : mon post sur Datajust, certes arrivé après les premiers commentaires, n’a fait que 73 vues selon mes statistiques Spip).

Google met d’abord en valeur ses propres réponses et produits dans les résultats de son moteur de recherche. Le SEO (optimisation d’un site pour améliorer son positionnement — "ranking" — dans les résultats des moteurs de recherche) sur Google a de moins en moins d’effets. Le SEO n’est pas exactement mort mais pour les petits sites, il est devenu beaucoup plus difficile de faire la différence.

Il faudrait certainement que j’équipe mon blog d’un outil de mailing (newsletter automatique). C’est ce que recommandent de nos jours les spécialistes du web marketing.

Enfin, un blogueur n’a quasiment aucune prise sur les mouvements de fond d’une industrie, quand bien même il en serait un acteur industriel majeur [6].

Alors, pourquoi continuer ?

Dès lors, quel est l’intérêt de continuer à poster sur les réseaux sociaux et à bloguer ? Je vois quatre raisons principales de continuer.

1. Primo, twitter pour le plaisir et l’extrême intérêt de ces hélas trop rares vraies discussions par exemple ce fil sur les thèses.

2. Deuxio, bloguer pour pouvoir développer et argumenter sans limite.

3. Bloguer encore pour pouvoir publier (rendre public) une somme de savoir ou une réflexion et y faire référence plus tard. Pour ne pas la perdre et la faire peut-être fructifier. Comme mon post sur l’IA en droit.

L’avantage (qui est aussi un inconvénient) des billets de blogs est que cela "reste", contrairement aux messages des réseaux sociaux qui n’ont qu’une durée de vie et une "découvrabilité" très limitée (à moins qu’ils ne soient repris dans un blog justement, ou un outil de curation). Du coup, on peut au moins faire d’un billet de blog une référence ou une trace (et démontrer au besoin un plagiat ou la primeur d’une idée). Le billet de blog devient alors une référence, l’endroit public et facile à trouver où une idée est démontrée.

Un peu comme un article de revue scientifique ou plutôt de journal. Ce qui s’approche parfois de la publication scientifique sans en avoir les processus ni demander autant d’efforts ; plus souvent, on est proche d’une actualité journalistique mais sans sa déontologie ni son lectorat.

Pour l’indépendant, le consultant, cette accumulation de savoir a un autre avantage. Elle développe sa publicité et sa réputation, par la démonstration d’une compétence dans son domaine et par la très nette amélioration du référencement de son site que procure le contenu amassé [7].


Internet et les réseaux sociaux ou le café du commerce doté d’une caisse de résonance mondiale :-(

Quand j’écris que ça "reste", je veux dire que la "cherchabilité" des posts de réseaux sociaux est catastrophique. Que ce soit par Google ou par leur moteur interne.

Pour Twitter, j’en ai une expérience directe et quotidienne : il arrive qu’en utilisant les fonctions avancées du moteur, on trouve quelque chose d’intéressant, mais c’est rare.

Sur le moteur de recherche interne de Facebook, un collègue m’a donné son témoignage : « professionnellement, les rares fois où j’ai eu besoin de chercher quelque chose dedans, je n’ai rien trouvé, alors que je savais que cela existait et quelle était la provenance. On peut penser que Facebook a mis des filtres et plusieurs fois j’ai eu l’occasion de constater les méfaits des présélections soi-disant heuristiques qui condamnent à ne voir que ce que FB a décidé pour soi. »

Les réseaux sociaux peuvent alors servir de moyen de diffusion des billets de blogs. Comme autrefois les listes de diffusion ou de discussion par email.

La nullité de 95% des échanges sur les réseaux sociaux n’a rien d’étonnante. Entre la tendance bien humaine à critiquer plutôt qu’à encourager et l’intérêt des GAFAM à favoriser le "buzz" ... La polémique fait venir les internautes comme des mouches sur le miel. Donc elle fait monter les revenus publicitaires dans un Internet qui refuse globalement d’être financé autrement.

4. Enfin, bloguer aide à mettre en ordre ses pensées et à vérifier qu’elles tiennent debout en devant chercher ses arguments. Ce qui évite l’effet "café du commerce" et l’appel aux émotions.

Sur le long terme, j’apprécie ma raison n° 3. Elle a sa logique.

En conclusion, je rappellerai que si mon inspirateur (éloigné) Dave Winer a écrit qu’il arrêterait un jour de bloguer ... il ne l’a pas fait ;-) Et il n’est pas prêt de le faire.

Emmanuel Barthe

Si vous voulez partager vos raisons à vous de continuer à écrire sur Internet, les commentaires sont ouverts.

Notes

[2Tweet épinglé (mis en évidence en haut de la timeline) du 3 avril 2020 de Géraldine Chavrier, professeur de droit public.

[3Exemple avec des menaces de mort et de viols sur ses enfants pour l’avocat Arié Alimi sur Twitter, interrogé par BFMTV — BFM qui rate totalement son tweet. Commentaire très calme de l’avocat : « La réaction de beaucoup qui ne se sont pas même donnés la peine de regarder l’interview est révélatrice d’une violence politique et d’expression sur les réseaux sociaux. [...] Je comprends parfaitement qu’on puisse ne pas apprécier mes positions sur certaines combats sociaux, voire même la dureté de certains de mes tweets. Mais le dialogue social et politique n’inclut pas la violence, les menaces de mort et les menaces de viol sur des enfants ... »

[4Comment apaiser le débat sur les réseaux sociaux ?, France Culture, 16 septembre 2020, débat animé par Antoine Garapon avec Marylin Maeso et Romain Badouard.

[5Top 10 des professeurs et enseignants dans la tendance du droit 2.0, par Anne-Béatrice, Legislanne, 12 avril 2018.

[6Même dans le cas du célèbre blog d’un grand acteur de la grande distribution française, il est évident que son blog ne représente qu’une fraction infime de son influence.

[7L’algorithme de moteur de recherche de Google adore le contenu long, détaillé et argumenté.