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Une chronologie de l’open data juridique

Open data et données juridiques publiques en France : les pouvoirs publics sont lancés ...
... mais question open data judiciaire c’est plus lent

[NB 1 : cet article a été initialement publié en novembre 2014. Il est régulièrement mis à jour depuis, devenant ainsi une sorte d’historique, de chronique de l’open data juridique et judiciaire.
NB 2 : rappel : l’open data, ce n’est pas simplement l’accès gratuit au droit brut, c’est bien plus que ça. L’open data, c’est le droit de réutiliser librement, gratuitement et massivement les données juridiques publiques brutes (textes officiels et décisions judiciaires). Autrement dit ce n’est pas Légifrance, c’est data.gouv.fr
]

Finalement, le rapport de juillet 2011 "Les données publiques au service de l’innovation et de la transparence - Pour une politique ambitieuse de réutilisation des données publiques" [1] et le débat sur l’opportunité de la gratuité des données publiques n’auront pas accouché d’une souris [2]. En tout cas dans le domaine juridique.

En effet, côté données juridiques publiques, les pouvoirs publics français sont vraiment lancés dans l’open data. Même si on note de nettes lenteurs sur l’open data des décisions de justice. Et il faut bien comprendre que cette lenteur a beaucoup à voir avec l’état de la Justice, son sous-financement, son manque de moyens en personnel [3] et sa gouvernance, notamment la manière d’y conduire les projets informatiques [4].

En voici la preuve par 10 chronologiquement [5].

Les débuts : principes et infrastructures : data.gouv.fr, ECLI, Sénat, rapport Trojette (2011-2013)

 Mai 2011 : le Premier ministre François Fillon pose la nouvelle règle [6] : « la gratuité est le principe, la redevance l’exception » par sa circulaire du 26 mai 2011 relative à la création d’Etalab [7].

 Juillet 2011 : publication du rapport rédigé par Mines Paris Tech pour le ministre en charge de l’économie numérique et la Délégation aux Usages de l’Internet "Les données publiques au service de l’innovation et de la transparence - Pour une politique ambitieuse de réutilisation des données publiques".

 5 décembre 2011 : lancement du site Data.gouv.fr [8]. Le site a été bâti par la mission Etalab, créée un peu plus tôt par le décret n° 2011-194 du 21 février 2011 portant création d’une mission "Etalab" chargée de la création d’un portail unique interministériel des données publiques.

 2012-2014 : ce n’est pas de l’open data mais ça va dans le sens de l’open data, ça accompagne ce mouvement : adoption des numéros et URL (adresses web) stables ECLI (European Case Law Indentifier) [9] par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel en 2012 et 2013 [10] et ELI (European Law Identifier [11]) par la DILA en octobre 2014. ECLI et ELI permettent de citer (et à terme rechercher, y compris par des automates) respectivement les décisions de justice des juridictions des de l’Union européenne et des Etats membres et les textes officiels adoptés par l’UE et les Etats membres [12]. Même les JO ont leur ELI. Exemple : le JORF du 5 novembre 2014 http://www.legifrance.gouv.fr/eli/jo/2014/11/5 On voit aussi les ELI sous deux formes (selon que le texte a un numéro ou pas, par exemple pour les décrets), mais, par défaut, le NOR est intégré. Exemple pour le décret n° 2014-1315 du 3 novembre NOR : FCPT1413681D : ELI : http://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/11/3/FCPT1413681D/jo/texte ; ELI : http://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/11/3/2014-1315/jo/texte ECLI et ELI avaient préalablement été adoptés en 2011 et 2012 respectivement au niveau européen.

 2013 : le Sénat publie les bases suivantes en open data sur le portail dédié data.senat.fr [13] :

  • les travaux législatifs (base Dosleg) : ensemble des informations sur les documents parlementaires déposés au Sénat (références depuis octobre 1977 et liens vers le texte intégral depuis octobre 1995)
  • les amendements (base Ameli) : ensemble des amendements déposés au Sénat en commission (depuis octobre 2010) et en séance publique (depuis octobre 2001)
  • les questions (base Basile-questions) : ensemble des informations sur les questions écrites et orales posées par les sénateurs au Gouvernement (références et/ou texte intégral selon la date de la question)
  • les comptes rendus des débats : ensemble des informations relatives aux comptes rendus intégraux de la séance publique depuis janvier 2003. Les comptes rendus intégraux eux-mêmes seront prochainement disponibles.

 Juillet 2013 : un article discrètement niché dans la loi Fioraso sur l’enseignement supérieur [14] élargit aux chercheurs l’accès aux données de l’administration fiscale [15], jusque là particulièrement bien protégées, sous réserve d’un engagement de confidentialité [16] : « L’accès des tiers, à des fins de recherche scientifique, aux informations recueillies à l’occasion des opérations de détermination de l’assiette, de contrôle, de recouvrement ou de contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts peut être autorisé par décision du ministre chargé du budget, après avis favorable du comité du secret statistique institué par l’article 6 bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. » Il s’agit de l’article 104 de la loi, qui modifie l’article L. 135 D du Livre des procédures fiscales (LPF) (voir l’article modifié).

 Novembre 2013 : publication du rapport Trojette sur l’ouverture des données publiques. Son titre est explicite : "Ouverture des données publiques - Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ?" La Gazette des communes le dit à sa façon : Open data : Le rapport Trojette habille pour l’hiver les redevances sur les données publiques. Pour autant, il traite bien plus de l’INPI que de la Cour de cassation, dont les redevances sont quand même listées dans le tableau des principales redevances. Et M. Trojette, dans un sursaut de réalisme (qui s’avérera prophétique au vu du temps nécessaire pour la réalisation effective de l’open data des décisions de justice, tout autant que sa préconisation de gratuité), n’oublie pas de préciser : « La crainte éprouvée par un service d’être submergé par les demandes de réutilisation et de ne pas être capable d’y répondre de manière satisfaisante, en termes de capacités techniques comme en termes de moyens humains, peut paraître justifiée. Dès lors, la réflexion doit porter, au niveau interministériel, sur les perspectives de mutualisation des infrastructures techniques et de méthodologie d’ouverture de plus en plus large des données publiques. »

L’open data de Légifrance et de l’Assemblée nationale : des textes officiels surtout (2014-2016)

 Juin 2014 : les licences Legifrance deviennent gratuites et quasi-open data [17] par le décret n° 2014-648 du 20 juin 2014 modifiant le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet [18] et son arrêté d’application du 24 juin 2014 relatif à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques et associatives de la direction de l’information légale et administrative [19].

 Eté 2014 : la DILA met concrètement en téléchargement libre, gratuit et anonyme les bases JORF, CONSTIT, CNIL, ASSOCIATIONS et DEPOTS DES COMPTES ANNUELS DES ASSOCIATIONS [20].

 Octobre 2014 : la DILA prépare l’ouverture (diffusion gratuite) des informations légales et données économiques sur les entreprises publiées dans ses trois bulletins officiels BODACC, BOAMP et BALO (information du 30 octobre 2014).

 Octobre 2014 : la DILA organise un prix Open Law de l’accès au droit [21]. Présentation des projets en lice le 11 décembre 2014.

 Septembre 2015 : la DILA met concrètement en téléchargement libre, gratuit et anonyme les bases CASS (arrêts publiés au Bulletin), INCA (INédits de la CAssation), CAPP (sélection d’arrêts de cours d’appel) et JADE (Conseil d’Etat et cours administratives d’appel) [22].

 Fin 2015 : le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone a annoncé le 12 novembre 2014 que d’ici fin 2015 plus de 800.000 documents de l’AN seront accessibles en open data [23]. Le compte rendu de la réunion du mercredi 12 novembre 2014 organisée par le Bureau de l’Assemblée nationale liste des informations qui seront concernées par cette ouverture :

  • les documents parlementaires ;
  • les coordonnées des députés ;
  • les mandats ;
  • le résultat des scrutins publics ;
  • le rattachement des députés à un parti politique ;
  • l’utilisation de la réserve parlementaire ;
  • la liste des représentants d’intérêts inscrits sur le registre ;
  • la liste des personnalités auditionnées par les commissions ;
  • la présence des députés en commission.

 Avril 2016 : le code source du calculateur d’impôt (dit "Calculette Impôts") est mis en libre accès gratuit [24] sur OpenFisca.

 Fin mai 2016 : le thésaurus des textes publiés au JORF (textes officiels et Codes), SARDE, est mis par la DILA en open data [25].

Vers l’open data des décisions de justice : la loi République numérique et ses suites (2016-2021)

 Avril 2016 : non prévus dans le projet de loi initial retenu par le Gouvernement après la consultation publique, des amendements sont ajoutés par la ministre du numérique Axelle Lemaire au texte pour une République numérique, examiné par le Sénat. Ils prévoient l’open data des décisions de justice [26]. Coup de tonnerre : ni le ministère de la Justice, ni la Cour de cassation ni le Conseil d’Etat n’en sont à l’origine. Le texte initial parlait bien d’extension de l’open data, mais n’incluait pas les décisions de justice, considérées comme des documents judiciaires et non administratifs.
Les sénateurs acceptent cette "révolution" mais sous condition de pseudonymisation (voir infra).

 Octobre 2016 : la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite loi Numérique ou loi Lemaire est entrée en vigueur. Elle prévoit l’open data des décisions du fond : autrement dit, la diffusion et la réutilisation gratuites des décisions des cours d’appel judiciaires et administratives et des tribunaux de l’ordre judiciaire (tribunaux d’instance (TI) et de grande instance (TGI), conseils de prud’hommes (CPH), tribunaux de commerce (Tcom), tribunaux de sécurité sociale (TASS) et de l’ordre administratif (TAA).
Sous une réserve très forte : le respect — renforcé par rapport aux exigences de la loi Informatique et libertés et du règlement européen qui sera applicable à partir de mars 2018 — de l’anonymat des justiciables personnes physiques. Pour être précis, voici la disposition, qui a été introduite par un amendement sénatorial : « Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes. » La faisabilité de cet open data-là va dépendre des termes du décret, qui est encore en cours d’élaboration début 2018.
La diffusion de la jurisprudence, sa pseudonymisation (en fait, on parle encore à cette époque d’anonymisation) et son open data on font l’objet d’un colloque très riche en informations le 24 octobre 2016 à la Cour de cassation. Toutes les interventions sont disponibles gratuitement en vidéo et deux bibliographies quasi-exhaustives sont publiées à cette occasion [27].

 Début janvier 2018 : publication du rapport Cadiet sur l’open data des décisions de première et deuxième instance. Si la mission Cadiet (essentiellement composée de hauts magistrats), se contente de reprendre, pour une très large part, les pratiques des juridictions suprêmes, notamment celles en matière de données personnelles/pseudonymisation, son rapport avance toutefois quelques nouveautés et surtout prépare le futur décret d’application de la loi Lemaire et la future loi sur les données personnelles (voir infra). Pour les détails, voir notre article Open data, anonymisation et publicité des décisions de justice : une analyse critique des propositions du premier rapport Cadiet.

 Fin janvier 2018 : dans le projet de loi sur les données personnelles, destiné à adapter la loi Informatique et libertés au règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD), qui sera applicable le 25 mai 2018, le Gouvernement dépose un amendement n° CL260 à l’article 7 pour insérer dans le texte la recommandation n° 17 du rapport Cadiet. ce qui donne : « L’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié : [...] 3° Le III est ainsi rédigé : Ne sont également pas soumises à l’interdiction prévue au I les données à caractère personnel mentionnées au I qui sont appelées à faire l’objet, à bref délai, d’un procédé d’anonymisation préalablement reconnu conforme aux dispositions de la présente loi par la CNIL ». Voici la recommandation n° 17 :
« Modifier les dispositions des articles 8 et 9 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin de permettre la réutilisation des décisions de justice diffusées dans le cadre de l’open data. L’interdiction de traitement de données sensibles ne devrait pas s’appliquer à la réutilisation de ces décisions, à condition, notamment, que ces traitements n’aient ni pour objet ni pour effet la réidentification des personnes concernées. La possibilité de traiter des données relatives aux infractions devrait être ouverte aux réutilisateurs sous la même réserve et sans préjudice d’autres garanties. »
Pour un commentaire sur les limites de cette recommandation, voir notre analyse du rapport Cadiet.

 Juin 2020 : prévue par la loi Lemaire de 2016, le décret sur l’open data des décisions de justice est publié au Journal officiel du 30 juin. Le décret précise les conditions dans lesquelles se fera la mise à disposition massive des décisions, en matière administrative, pénale et civile. Il modifie aussi les règles de transmission de la copie des jugements. Mais pour que l’open data soit effectif, il faudra encore attendre. Pour des raisons notamment d’équipement informatique et logiciel, la Cour de cassation désirant continuer à maîtriser la diffusion des décisions judiciaires. Confirmation dans la tribune de la première présidente Chantal Arens à Dalloz Actualité : « la Cour de cassation pourra effectivement assurer pour 2021-2022 l’accessibilité en open data de ses décisions et des décisions des cours d’appel en matière civile mais la mise à disposition des autres décisions risque d’être reportée à une date très incertaine. »

 Septembre 2020 : la nouvelle version de Légifrance entre en production, et avec elle des API très attendues par la legal tech. En un mot, une API permet assez facilement à une startup ou un éditeur de publier une sélection d’une base de données juridiques publique sans avoir à télécharger toute la base ni toutes les mises à jour.

 Décembre 2020 : le rapport Bothorel pour une nouvelle politique publique de la donnée est remis en décembre 2020. Grosso modo, il fait un point et préconise de secouer le cocotier.

 Février 2021 : La Cour de cassation « prévoit la mise en open data des décisions de la Cour en septembre 2021 puis la mise en open data des décisions rendues par les chambres civiles, sociales et commerciales des cours d’appel en avril 2022. » [28] Et« plus tard pour les juridictions de première instance », autrement dit, après avril 2022, selon la première présidente de la Cour de cassation Chantal Arens, dans un entretien au Figaro du 28 février 2021.

 Avril 2021 :

L’open data des décisions de justice — pour de vrai (2021-...)

 1er otobre 2021 : les juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’Etat) mettent à disposition en open data l’ensemble — et non une partie, comme sur Légifrance — de leurs décisions [29]. Celles-ci sont publiées sur un site à part.
Mais, contrairement à la logique de diffusion et d’accès au droit brut qui sous-tendait Légifrance jusqu’à la dernière version (où les API sont devenu la clé du site), ces nouveaux jeux de décisions sont techniquement inaccessibles aux associations, citoyens, avocats pour particuliers et TPE, etc. Seuls les SSII, legal tech et éditeurs juridiques ont les compétences et les moyens techniques pour les exploiter. Drôle d’open data, qui exclut a priori des catégories entières d’usagers qui n’ont pas les moyens de payer quelques milliers d’euros (minimum) par an. Si la situation ne s’améliore pas, dans quelques années, la doctrine citera des décisions de cour d’appel et de première instance que seuls les grands professionnels du droit pourront consulter, malgré l’open data de ces mêmes décisions. Car, il faut le rappeler, sans n° RG, il est très difficile d’obtenir une décision au greffe de la juridiction. Sans même parler du délai habituel (deux mois à la Cour d’appel de Paris).

 30 avril 2022 : l’open data des cours d’appel judiciaires (CA) est lancé. Toutes les décisions civiles, sociales et commerciales rendues publiquement par les 36 cours d’appel de France postérieurement au 15 avril 2022 sont désormais disponibles via Judilibre, le moteur de recherche de décisions sur le site web de la Cour de cassation.
Toutefois, l’exhaustivité de la base open data des arrêts d’appel pose question. Par exemple, à fin octobre 2022, sur la base Judilibre, sur le mois de mai 2022, pour la cour d’appel d’Agen, on ne trouve que 58 arrêts (au civil uniquement). Cela semble bien peu. Un estimation rapide chiffrerait le nombre de décisions rendues par une telle cour à 4000 par an au minimum, soit une moyenne approximative de 333 par mois [30].

 Juin 2022 : le professeur Cadiet remet son deuxième rapport à la Cour de cassation : La Diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence – Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ?, rapport à la première présidente de la Cour de cassation et
au procureur général près la Cour de cassation
, par Loïc Cadiet, Cécile Chainais et Jean-Michel Sommer (dir.), Sylvain Jobert et Estelle Jond-Necand (rapporteurs), juin 2022 :

  • Volume 1 : état des lieux et recommandations (PDF, 160 pages)
  • Volume 2 : les contributions écrites des professeurs de droit et auditions d’universitaires (non publiées initialement) (PDF, 248 pages).

Pour une analyse critique de ce rapport, lire sur ce blog : Open data et diffusion des décisions de justice judiciaires : analyse critique du deuxième rapport Cadiet.

 4 juillet 2022 : l’open data des tribunaux administratifs est lancé. Les jugements des TA sont à partir de ceux de juin 2022 sur ce site https://opendata.justice-administrative.fr Attention : les décisions sont au format XML zippé. Autant dire que pour une veille quotidienne ou une recherche, c’est peu adapté. En revanche, les bases de données de jurisprudence des éditeurs devraient très vite intégrer ces jugements. Au cas par cas et en cas d’urgence, il est toutefois possible de fouiller le fichier XML, mais c’est peu pratique.

 14 octobre 2022 : lors de ses voeux en janvier 2022, Laurent Fabius, président du Conseil constituionnel, expliquait : « un portail numérique sera mis en place avant la fin 2022 sur le site du Conseil [constitutionnel] qui recensera désormais le flux et le sort de toutes les QPC déposées » — y compris celles non transmises donc. Au JO du 14 octobre nait, en droit, ce « portail QPC » :

 17 novembre 2022 : aux RVD des Transformations du Droit, des magistrats de la Chancellerie et de la Cour de cassation [31] ont expliqué que le ministère de la Justice souhaite accélérer l’open data des décisions de justice de première instance (normalement fixé au 30 septembre 2025) en travaillant à une mise en ligne d’un lot de décisions des tribunaux judiciaires (TJ) dès 2023. L’objectif est de diffuser un premier lot de décisions de 9 juridictions [32]. Vu le volume futur (plus de 2 millions de décisions par an) et la date qui s’approche (moins de deux ans), accélérer et procéder ainsi à un test semble prudent.
Confirmation : le 14 mars 2023, la Cour de cassation publie sur son site une actualité ainsi rédigée : « la Cour prépare activement la prochaine étape de la diffusion des décisions de justice en open data sur Judilibre. D’ici la fin de l’année 2023 sera lancée la mise à disposition des décisions civiles rendues par neuf tribunaux judiciaires : les tribunaux judiciaires de Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Saint-Denis-de-la-Réunion et Versailles. »

 30 juin 2023 : l’open data des décisions des juridictions judiciaires est reporté à septembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les conseils de prud’hommes (qui devaient être disponibles ce 30 juin) : arrêté du 27 juin 2023 modifiant l’arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, JORF n° 150 du 30 juin 2023 texte n° 33.

 21 novembre 2023 : dans le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (et publié à la fin de celle-ci au JORF), dans le volet consacré au renforcement et à la modernisation de l’accès au droit (article 2.6.1), on note l’alinéa suivant : « Afin de permettre au justiciable de mieux comprendre et de s’approprier la justice, et conformément à l’objectif d’intégrer la donnée au coeur des réflexions, de nouveaux jeux de données seront publiés en données ouvertes, notamment les conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives, ainsi que les rapports publics des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation. » Eric Sagalovitsch, avocat et partisan de l’open data des conclusions des rapporteurs publics, note que « le dispositif en cause ne revêt aucun caractère normatif (par ex., CE, ass., 5 mars 1999, n° 132023, Confédération nationale des groupes autonomes de l’enseignement public, Lebon ; AJDA 1999. 462 ; et 420, chron. F. Raynaud et P. Fombeur , pour un rapport annexé à une loi d’orientation sur l’éducation) et sa méconnaissance ne paraît pas sanctionnable au contentieux » mais espère toutefois beaucoup du Gouvernement [33]. Au chapitre des objections :

  • il semble que les juridictions administratives ne soient techniquement pas prêtes — toujours le même problème du manque de moyens financiers, humains et techniques, que j’avais dénoncé ici pour l’open data des décisions de première instance judiciaire
  • et le droit d’auteur des rapporteurs publics ?

 22 décembre 2023 : comme annoncé, les décisions civiles rendues par les tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Rennes, Saint-Denis de La Réunion et Versailles postérieurement au 15 décembre 2023 sont disponibles sur le site internet de la Cour de cassation, dans la base Judilibre. L’année 2024 devrait ainsi voir la mise en ligne d’environ 170 000 décisions de TJ. Selon la Cour de cassation, « dans les prochains mois, seront mises à disposition, sur Judilibre, des décisions d’autres tribunaux judiciaires ainsi que celles des tribunaux de commerce ». Regardons quand même en arrière : il aura fallu, depuis la loi République numérique de 2016, neuf ans (2016-2025) alors que les ayatollahs de l’open data judiciaire parlaient volontiers de quelques années à l’époque.

Voilà, on en est là. La France, plus généralement, est arrivé à un haut niveau d’open data [34], comme le prouve, pour la troisième année consécutive, sa première place en Europe en matière de mâturité de l’open data [35]. Pour l’instant. Ca a ralenti, mais ça a repris avec les suites du rapport Bothorel, sans compter que depuis 2015-2016, beaucoup de startups utilisatrices de cet open data ont émergé dans la "legal tech", comme en 2020 le trublion Pappers [36]. Mais beaucoup aussi, n’ayant pas dépassé le point mort, ont disparu ou, pour les meilleures d’entre elles sur le plan technique (Softlaw, Hyperlex, Case Law Analytics ...), été rachetées par des éditeurs juridiques ou des éditeurs de logiciels.

What’s next ? Eh bien, l’open data de l’ensemble des juridictions de première instance puis des décisions pénales des cours d’appel.

Sur le fond, mon constat sur l’open data est ici : Open data, le désenchantement.

Emmanuel Barthe
juriste documentaliste, veilleur, spécialiste des données publiques juridiques

Bibliographie supplémentaire

Notes

[2Voir notamment notre article Diffusion des données publiques, Open data et édition et la tribune de Denis Berthault à la Gazette des communes du 1er janvier 2013 : Pourquoi le dogme de la gratuité des données publiques freine la diffusion de l’open data.

[3Voir notre billet article 1502. Pourtant, comme le notent Yannick Meneceur et les étudiants du Master Cyberjustice de Strasbourg dans une étude publiée en février 2023 (La transformation numérique de la justice : Ambitions, réalités et perspectives - État 2022-2023), « l’informatique judiciaire a été florissante à la fin des années 1980 : des fonctionnaires des greffes, passionnés de ces nouveaux objets techniques, ont rapidement vu l’opportunité d’industrialiser des tâches, comme la formalisation des jugements. »

[4Toujours extrait de l’étude précitée de Yannick Meneceur : « La succession d’annonces pour doter les services judiciaires d’outils informatiques au niveau des standards contemporains, la succession de rapports de bilan et le manque de résultats tangibles du point de vue des acteurs de terrain parait toutefois caractériser la perception extérieure de la dernière décennie des politiques publiques en matière informatique dans les tribunaux judiciaires. [...] Une étude de la CEPEJ a tenté, en 2016, de rechercher une éventuelle corrélation entre taux d’informatisation et performances des tribunaux. À partir des données collectées, elle conclut que c’est probablement moins la multiplication de services numériques que la manière de conduire des projets informatiques qui semblerait produire des effets. Penser l’organisation d’un processus de travail et l’appuyer d’un outil informatique pour l’exécuter semblerait ainsi plus efficace que de déployer un outil informatique et de rechercher ensuite l’organisation optimale. [...] Guy Canivet, premier président honoraire de la Cour de cassation et ancien membre du Conseil Constitutionnel, préconisait dans le rapport "Justice : faites entrer le numérique" de ne pas tirer de conclusions hâtives au sujet de ces outils et de revenir aux attentes des justiciables et d’en faire le point de départ pour toute transformation numérique. »

[5A l’origine, ce billet listait 10 étapes, d’où le sous-titre. Pour une chronologie de l’open data juridique français et des influences européennes et internationales, voir sur ce blog : Une histoire (complexe) de l’accès au droit, sur data.gouv.fr et sur touteleurope.eu.

[6Voir sur ce blog : Le décret Etalab et sa circulaire sont parus au JO, 27 mai 2011.

[7JORF n° 123 du 27 mai 2011 page 9140 texte n° 5.

[8Voir sur ce blog : Data.gouv.fr : premières impressions, 5 décembre 2011.

[10L’identifiant ECLI sur les décisions du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, par Guillaume Adréani, blog Données juridiques 11 septembre 2012.

[11Pour la structure/les composants de l’ELI, voir les conclusions du Conseil préconisant l’introduction d’un identifiant européen de la législation (ELI) 2012/C 325/02 (JOUE du 26 octobre 2012). La syntaxe d’ELI est basé sur l’Uniform Resource Identifier (URI), qui est une norme Internet définie par l’IETF dans la RFC 3986.

[12On pourrait même injecter des mot-clés matière dans des registres ECLI : voir notre billet L’indexation de Legifrance par les moteurs et le moissonnage OAI des métadonnées pour enrichir le contenu des futures licences gratuites.

[13Voir sur ce blog : Les "open data sets" du Sénat.

[14Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, JORF n° 169 du 23 juillet 2013 page 12235 texte n° 2.

[16L’accès aux données
confidentielles de la statistique publique
/ Jean-Pierre Le Gléau, Statistique et société, vol. 2, n° 2 mai 2014.

[18JORF n° 143 du 22 juin 2014 page 10295 texte n° 1.

[19JORF n° 146 du 26 juin 2014 p. 10474 texte n° 1.

[20De nouvelles données juridiques de Légifrance en Open Data, par Xavier Berne, NextINpact 21 juillet 2014.

[21Prix DILA de l’accès au droit "Open Law - Le droit ouvert", par Emmanuel Barthe, precisement.org.

[22Communiqué DILA, 10 septembre 2015.

[23Open Data : quels seront les documents fournis par l’Assemblée nationale ?, par Julien L., Numerama 13 novembre 2014. L’Assemblée nationale va ouvrir ses données, par Catherine Petillon, France Culture 13 novembre 2014.

[24Communiqué de Bercy du 13 mars 2016.

[26Ce qu’avait d’ailleurs suggéré Antoine Dusséaux, un des fondateurs de la legaltech Doctrine. Interviewé par NextINpact, il espérait à l’époque « obtenir plus de bases. On veut travailler avec les juridictions pour leur faire prendre conscience de l’importance de rendre la justice accessible. Le principe de publicité des débats est la base de toute démocratie si on s’en tient à la Cour européenne des droits de l’Homme. Nous pensons qu’au XXIe siècle, la publicité des débats passe par Internet ». Si rien ne bouge de manière plus volontariste, « peut-être faudra-t-il passer par le législateur » suggérait-il.

[28Source : Remise à la première présidente du rapport du groupe de travail « Open data – Occultations complémentaires » de la Cour de cassation.

[29Décret n° 2021-1276 du 30 septembre 2021 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Décisions de la justice administrative » et « Judilibre », JORF n° 229 du 1 octobre 2021 texte n° 14. Voir sur ce blog : Open data : coup d’envoi de l’ouverture des décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.

[30En 2010, selon l’Annuaire statistique de la Justice — dont le millésime 2011-2012 est la dernière édition —, il y avait 33 cours d’appel en France, ayant clos 206 343 procédures au civil au fond, soit probablement environ 200 000 décisions. 200 000 / 33 = 6060 décisions civiles en moyenne par cour d’appel. Et ça, c’était en 2010 et juste au civil.

[31Dont Edouard Rottier, responsable de l’open data à la Cour.

[32Le ministère de la Justice veut accélérer sur l’open data des décisions de justice, par Arnaud Dumourier, Le Monde du droit, 18 novembre 2022. Il semble par ailleurs qu’il ne soit pas certain que les décisions des conseils de prud’hommes seront diffusées en open data dès 2025. Cela ne nous surprend pas, concernant les CPH : autonomie car justice échevinale, très faibles moyens, faible informatisation. Enfin, déterminer parmi les actes vrac des greffes des tribunaux de commerce le périmètre exact des décisions de justice semble difficile à tracer.

[33Open data des conclusions des rapporteurs publics : une première étape est franchie, par Eric Sagalovitsch, AJDA 2023 p. 2305.

[34Open data, une performance française, par Jean-Marc Lazard (président et co-fondateur d’Opendatasoft), Les Echos.fr, 8 février 2024. L’auteur note que « outre les incitations gouvernementales, la France dispose aussi d’un modèle d’organisation propice à une production de la data que ce soit au niveau local ou national. Pôle emploi, URSSAF, Infogreffe, Cadastre, CAF, Météo France, INSEE, DARES, IGN… sont autant d’établissements publics nationaux collecteurs de jeux de données qualifiés, complets et mis à jour régulièrement. Une organisation que n’ont pas l’Allemagne ni la Belgique, dont les structures politiques très régionalisées freinent la constitution de jeux de données nationaux. D’où leur moins bon niveau de maturité de leur open data selon les critères du classement européen. »

[35Open Data Maturity (ODM) assessment.