Normes : vers une gratuité des normes obligatoires, hélas non imprimables
Le régime de publication des normes se rapproche (mais si peu) de celui des données publiques juridiques
Le JORF du 17 juin 2009 publie un texte qui peut sembler étrange aux non-initiés : le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation.
Il procède pourtant à rien moins qu’à une réforme, et du fonctionnement de l’AFNOR, et du régime de publication des normes.
Le décret commence par réaffirmer la place centrale d’AFNOR [1], sans pour autant dans les articles suivant lui confier l’élaboration même des normes :
« Article 6
L’Association française de normalisation assure :
1° La programmation des travaux de normalisation laquelle vise :
a) A identifier, sur la base des besoins recensés auprès des partenaires économiques et sociaux et des contributions des bureaux de normalisation, les normes à élaborer en France ou au sein des organisations non gouvernementales de normalisation européennes et internationales ;
b) A sélectionner les travaux d’élaboration de normes européens et internationaux justifiant une participation française ;
c) A réaliser des études d’impact économique ;
2° L’organisation des enquêtes publiques sur les projets de normes élaborés par les bureaux de normalisation en application de l’article 15 ;
3° L’homologation et la publication des normes. »
Si on compare avec le décret n° 84-74 du 26 janvier 1984 fixant le statut de la normalisation (version consolidée), c’est déjà une redéfinition des missions de l’AFNOR :
« Article 7
Les avant-projets de normes françaises sont préparés par des commissions de normalisation comprenant des représentants des différentes catégories de partenaires intéressés par leur utilisation, et notamment des organisations représentatives de consommateurs. Ces commissions siègent au sein de bureaux de normalisation à compétence sectorielle.
L’Association française de normalisation est chargée de fournir aux commissions de normalisation les informations techniques et économiques nécessaires à leurs travaux. [...]Article 9
Pour chaque avant-projet de norme prévu dans le programme général mentionné à l’article 6 ci-dessus ou pour lequel une demande a été formulée par le délégué interministériel aux normes, l’Association française de normalisation désigne le bureau de normalisation au sein duquel siégera la commission chargée de l’élaboration. »
Dans le même temps, le nouveau décret affirme le caractère d’"activité d’intérêt général" de la normalisation (une nouveauté par rapport au décret de 1984), renforce les pouvoirs du délégué interministériel aux normes et ceux des bureaux de normalisation qui, si je comprend bien, s’émanciperaient de la tutelle des comités de normalisation AFNOR :
« Article 1
La normalisation est une activité d’intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations. [...]
Article 2
La normalisation et sa promotion sont assurées par l’Association française de normalisation et les organismes agréés par le ministre chargé de l’industrie comme bureaux de normalisation sectoriels afin d’organiser ou de participer à l’élaboration de normes françaises, européennes ou internationales.
Article 3
Un délégué interministériel aux normes désigné par décret assure, sous l’autorité du ministre chargé de l’industrie, la définition et la mise en œuvre de la politique française des normes. Il peut, à compter de la publication au Journal officiel de la République française du décret de nomination ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, signer, au nom du ministre ou du secrétaire d’Etat, par délégation, l’ensemble des actes, à l’exception des décrets, relatifs à la définition et à la mise en œuvre de la politique française des normes.
Article 4
I. Il est institué auprès du ministre chargé de l’industrie un groupe interministériel des normes composé des responsables ministériels aux normes, désignés, après avis des ministres concernés, par un arrêté du ministre chargé de l’industrie. La liste des responsables ministériels est publiée au Journal officiel de la République française. Le groupe interministériel des normes est présidé par le délégué interministériel aux normes.
II. Le responsable ministériel aux normes coordonne dans son département ministériel le suivi des travaux de normalisation, la promotion de la normalisation comme moyen de répondre aux exigences fixées par la réglementation et la vérification de la cohérence des projets de normes en cours d’élaboration avec les objectifs de la réglementation.
III. Le groupe interministériel des normes propose au ministre les orientations de la politique française des normes et, sur saisine du ministre, rend des avis sur toute question relative aux normes et à la normalisation. [...]Article 8
Un comité d’audit et d’évaluation auprès de l’Association française de normalisation est chargé d’organiser l’évaluation de l’activité des bureaux de normalisation prévue à l’article 11 et de contrôler la conformité et l’efficacité de l’activité de l’Association française de normalisation prévue à l’article 6. Il vérifie en particulier la bonne association de toutes les parties intéressées dans les travaux des bureaux de normalisation, notamment les associations de consommateurs, les syndicats représentatifs de salariés et les petites et moyennes entreprises.
Article 9
La mission d’intérêt général confiée par le présent décret à l’Association française de normalisation fait l’objet d’une comptabilité distincte de celle de ses autres activités.
Cette comptabilité distingue en outre en son sein les comptes de l’activité d’orientation et de coordination de l’élaboration des normes de ceux de l’activité de bureau de normalisation prévue au IV de l’article 11.
L’Association française de normalisation tient une comptabilité analytique permettant de retracer la décomposition des coûts et de l’affectation des différentes ressources des activités d’intérêt général. »
Les dispositions clés sont là :
« Article 11
I. L’élaboration des projets de normes est assurée, par délégation de l’Association française de normalisation, par les bureaux de normalisation sectoriels agréés dans les conditions prévues au présent article.
II. L’agrément des bureaux de normalisation sectoriels est accordé, par délégation du ministre chargé de l’industrie, par le délégué interministériel aux normes pour une durée maximale de trois ans au vu d’une évaluation de leurs activités organisée conformément à l’article 8.Article 12
I. Pour l’élaboration des projets de normes nationales, européennes et internationales, l’Association française de normalisation délègue sa mission aux organismes bénéficiant de l’agrément du ministre chargé de l’industrie prévu à l’article 11 qui l’exercent au nom et pour le compte de l’Association française de normalisation.
II. Les normes nationales sont élaborées par les bureaux de normalisation agréés conformément à l’article 11 avec le concours de commissions de normalisation regroupant toutes les parties intéressées qui souhaitent participer à cette élaboration.
III. Lorsque les travaux de normalisation relèvent de plusieurs bureaux de normalisation, l’Association française de normalisation, en concertation avec les parties concernées, détermine le bureau de normalisation assurant la coordination des travaux. »
Les articles 14 (sur les frais d’élaboration des normes) et 17 (sur le prix des normes) apparaissent dès lors comme une conséquence logique de ceux qui les précèdent :
« Article 14
Il peut être demandé une participation aux frais d’élaboration d’une norme aux membres des commissions de normalisation prévue au II de l’article 12.
Toutefois, il ne peut être demandé de participation aux frais d’élaboration d’une norme aux associations de consommateurs et aux associations de protection de l’environnement agréées compte tenu de leur représentativité sur le plan national, aux syndicats représentatifs de salariés, aux petites et moyennes entreprises de moins de 250 salariés ne dépendant pas à plus de 25 % d’un groupe de plus de 250 salariés, aux établissements publics d’enseignement et aux établissements publics à caractère scientifique et technologique, ainsi qu’aux départements ministériels au titre de la participation de leur responsable ministériel aux normes et de leur suppléant.Article 17
Les normes sont d’application volontaire.
Toutefois, les normes peuvent être rendues d’application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l’industrie et du ou des ministres intéressés.
Les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Association française de normalisation. » [2]
A noter : le texte dit « consultables ». Il ne dit pas imprimables ni téléchargeables ... Hélas. Sur cette importante limite, voir les précisions de notre billet Les normes obligatoires sont sur le site de l’AFNOR.
On note une continuité avec les récents mouvements vers la gratuité des bases marques et brevets et du BODACC. Le régime de publication des normes se rapproche en partie de celui des données publiques juridiques. Y aura t’il des licences comme pour celles-ci ?
Le décret du 16 juin 2009 prend donc largement le contrepied du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984 fixant le statut de la normalisation, qu'il n'abroge pourtant pas expressément qu’il abroge par son article 18 [3].
Si on rattache ces dispositions à divers mouvements récents visant le prix élevé des normes et le monopole de l’AFNOR sur celles-ci [4], on peut se demander si le présent décret n’est pas leur aboutissement officiel.
Mais un texte suffira t-il pour changer une situation existant de longue date ? Le groupe AFNOR, c’est quand même, selon son site web, 120 millions d’euros de chiffre d’affaires (au 31 décembre 2008), un effectif de 1168 personnes, 14 délégations régionales et 1500 auditeurs et formateurs.
Notes
[1] On ne dit plus "l’AFNOR" mais "le groupe AFNOR" ou "Afnor" tout court.
[2] Le gras est de nous.
[3] Merci à Martine.
[4] Voir nos billets Normes : le monopole de l’AFNOR en question et Les normes sont trop chères, selon le Conseil de l’Union européenne. Voir aussi cette réponse ministérielle Pintat (question publiée dans le JO Sénat du 2 août 2007 p. 1365 et réponse au JO Sénat du 29 mai 2008 p. 1056). Extrait de la réponse : « Pour l’exercice de [la mission de normalisation de l’AFNOR], le ministère de l’économie, des finances et de l’emploi apporte une contribution financière annuelle [...] d’environ 17 millions d’euros pour 2008. Mais cela ne permet pas de couvrir toutes les dépenses de l’AFNOR liées à la normalisation, même une fois prises en compte les cotisations des entreprises et leur quote-part aux travaux de normalisation. En complément de ces contributions, la vente de normes constitue une des principales sources de financement du système français de normalisation. Elle représente de l’ordre de 30 % des ressources de l’AFNOR Normalisation. Toutefois, l’opportunité de rendre gratuit l’accès aux normes d’application obligatoire fait actuellement l’objet de travaux techniques pour en mesurer la faisabilité et l’impact sur le système français de normalisation. »
Commentaires
6 commentaires
Normes : vers une gratuité des normes obligatoires
Bonjour,
Cette gratuité ne serait effective que pour les normes rendues obligatoires. Mais leur consultation est-elle restreinte au seul site de l’AFNOR ou un site tiers pourra-t-il reprendre les normes gratuites pour alimenter sa propre base ou son propre répertoire de données ?
Normes : vers une gratuité des normes obligatoires
C’est toute la question. Le décret du 16 juin ne dit rien à ce sujet.
En l’état actuel des choses, les normes, même celles d’application obligatoire, ne font pas partie du périmètre des données publiques essentielles (SPDDI), donc des licences Legifrance. Pour ce qui est de leur éventuelle présence au catalogue de l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (APIE), ce catalogue n’est pas encore prêt.
Normes : vers une gratuité des normes obligatoires
Bonjour,
Le texte est clair.
La consultation des normes rendues obligatoires sera possible sur le site de l’AFNOR.
Ceci exclu donc de pouvoir les télécharger et donc de les trouver sur d’autres sites.
Le téléchargement va donc rester payant et les normes protégées par des droits.
Décret du 16 juin sur la normalisation : première analyse de Dalloz Actualité
La newsletter Dalloz Actualité du 19 juin 2009 publie une brève (accès sur abonnement) sur le décret du 16 juin qui apporte des précisions :
Si Dalloz souligne — ce que je n’avais pas repéré — la clarification du statut de la norme homologuée (elle est expressément rendue « obligatoire »), il ne mentionne toutefois pas certains autres aspects réformistes de ce texte, à commencer par la gratuité des normes obligatoires.
Normes : vers une gratuité des normes obligatoires
Dalloz avait bien fait de ne pas mentionner la gratuité des normes obligatoires dans sa newsletter du 19 juin, puisqu’elles ne sont finalement que "consultables" : ni imprimables ni téléchargeables. L’AFNOR a interprété à la lettre l’article 17 du décret. Plus de détails : Les normes obligatoires sont sur le site de l’AFNOR.
Des normes Afnor obligatoires enfin téléchargeables et imprimables
En 2021, enfin, le décret n° 2021-1473 du 10 novembre 2021 portant modification du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation (JORF n° 264 du 13 novembre 2021 texte n° 9) permet une consultation *effective* des normes obligatoires :
« la mise à disposition gratuite des normes rendues d’application obligatoire inclut la consultation, le téléchargement et l’impression des normes. Il apporte enfin quelques ajustements rédactionnels ».
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