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Un business model à réinventer d’urgence

Les subventions et les agrégateurs sauveront ils la presse française ?
Réponse : cette fois non

Selon Sylvère de Bibliobsession, la nouvelle stratégie de la presse en ligne reviendrait à faire payer le contribuable et les bibliothèques.

L’auteur cite :

La publicité ne suffit clairement pas et la crise actuelle a encore aggravé la chose. En effet, selon la thèse professionnelle de Mathieu de Vivie (76 pages [2], décembre 2008, citée par le toujours bien informé, lucide et mordant Narvic sur son blog Novovision et re-citée donc par notre bibliobsédé) sur le financement de la presse « il ne semble pas aujourd’hui envisageable qu’une diffusion sur internet, à elle seule, soit en mesure de financer la production d’information de grandes rédactions de plusieurs centaines de journalistes, telles que celles du Monde ou du Figaro. Si la version papier de ces médias fait défaut, leur survie apparait bien menacée. »

Le blogueur prend ensuite l’exemple de l’agrégateur (banque de données) de presse Europresse qui apparemment augmente ses tarifs malgré les efforts du consortium Couperin et en même temps ajoute des ressources déjà disponibles gratuitement sur le Web.

Le coeur du billet :

« Il s’agit de revendre aux bibliothèques les contenus payants exclusifs de la presse agrémentés de contenus qui sont librement accessibles sur le web tout ça avec une valeur ajoutée technique à examiner ... »

Evidemment, suite à cette charge — mais après tout notre blogueur est 1. utilisateur et client de la presse et des banques de presse et 2. citoyen donc ayant droit de regard sur les subventions —, le débat est vif dans les commentaires sous le billet. Jean-Michel Salaun, notamment, défend la PQN. Un autre bibliothécaire dit en substance : « Eh bien, si c’est trop cher, je ne m’y abonnerais pas ».

J’avais constaté ces aides, mais il est assez piquant d’en lire les détails.

Pour autant, ce ne sont pas les subventions qui sauveront la presse quotidienne française. Ni les revenus tirés des banques de presse. La nouvelle directrice de la Tribune a tout récemment admis que son titre avait besoin de 10 à 15 millions d’euros. D’après le tout récent rapport d’Aldo Cardoso Certes, le total des aides directes et indirectes à la presse française est plus élevé que ce que je pensais : 1 milliard d’euros entre les aides directes et indirectes. Quand même ! Et pourtant, ça ne suffit plus. Et le Gouvernement semble, en cette période de RGPP, ne plus vouloir en rajouter venant de la poche de l’Etat. Extrait du Figaro du 9 septembre 2010 (« Il faut remettre à plat les aides à la presse ») :

« Le rapport d’Aldo Cardoso a été remis aux ministres de la Culture et du Budget.
L’ancien président d’Andersen, Aldo Cardoso, a remis hier aux ministres de la Culture, Frédéric Mitterrand, et du Budget, François Baroin, son rapport sur « La gouvernance des aides publiques à la presse ». Sous forme de quinze propositions, ses conclusions suggèrent notamment la création d’un fonds stratégique pour remédier aux effets pervers d’aides d’État jugées trop nombreuses et versées sans contrôle aux éditeurs.

Le FIGARO. – À combien s’élèvent les aides d’État à la presse ? Quel est leur rôle ?
Aldo CARDOSO. – Ce rapport est le premier à s’attaquer aux différentes aides à la presse écrite : à leur efficacité et leur mode d’attribution. Les aides de l’État à la presse atteignent plus d’un milliard d’euros par an, soit 12 % du chiffre d’affaires du secteur, réparties entre 401 millions d’euros d’aides indirectes (taux de TVA réduit, exonération de la taxe professionnelle…) et 626 millions d’aides directes (au pluralisme, à la diffusion, à la modernisation…). Au total, on dénombre une douzaine d’aides directes à la presse, dont certaines remontent au XIXe, qui ont chacune un mode de gestion spécifique, non contrôlé. Malgré ce maquis d’aides, la presse se porte mal [...] »

Un nouveau "business model" réaliste, en phase avec la consommation grandissante par Internet et *rentable* [3] — trois façons différentes, en fait, de dire la même chose ou presque — reste à trouver. Ou pas [4]. Quelques titres de la presse locale ont déjà fermé dans les deux dernières années. Ce n’est clairement pas fini.

Emmanuel Barthe
documentaliste, veilleur, i.e. gros consommateur de presse

Notes

[2Une thèse professionnelle n’est pas aussi approfondie qu’un thèse de doctorat. D’où le nombre de pages de ce travail.

[3Je ne peux que citer à nouveau les deux spécialistes des médias français que sont Patrick Eveno et Dominique Wolton (entretien publié aux Echos du 3 avril 2008) :
P. Eveno — [...] la corporation de la presse française, gérée dans un système d’aides de l’Etat. Ce sont celles-ci qui lui permettent de survivre depuis un quart de siècle. En 1945, on a pensé la presse en termes politiques et jamais en termes d’économie d’entreprise.
D. Wolton — [...] A partir du début des années 1980, les éditeurs ont cédé à la mode des nouvelles technologies en investissant massivement dans des imprimeries ultra- modernes. Des ingénieurs systèmes leur ont fait perdre tout leur argent. Ils n’ont pas repensé les rédactions. Ils n’ont pas repensé le lectorat. Les patrons de presse n’ont pas vu que la société a changé. Ils n’arrêtent pas de parler de la crise de la presse, ils n’arrêtent pas d’obtenir des aides de l’Etat. Ils ont tout remis en cause sauf eux-mêmes. Ils n’ont pas compris que le lecteur était intelligent.
P. E. — Ils ont fait du lobbying permanent pour assurer leurs fins de mois. Quand on est dans l’industrie ou le service, il faut s’occuper du client.
Justement, ces aides, cette fois, ne leur permettront pas de survivre. Même si l’Etat décide de les augmenter nettement, les déficits et l’endettement sont devenus trop importants.

[4Entre parenthèses, le nouveau dirigeant de l’AFP veut sortir du carcan juridique qui lui interdit de vendre au public. Et il a des arguments. Valables à mes yeux. Notamment celui que les agences de presse concurrentes comme Reuters le font, elles. Evidemment, les quotidiens sont contre. On les comprend. Surtout que beaucoup pratiquent le coup des articles bâtis en élaguant puis collant des dépêches de presse bout à bout voire recopiées presque telles quelles ... Soit dit en passant, l’AFP diffuse en réalité presque directement au public déjà, sans le dire, depuis son accord transactionnel avec Google. En effet, de très nombreuses dépêches AFP sont hébergées et — très bien — indexées par GG.