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Les ordonnances : les repérer, les suivre
Guide pour les veilleurs


Une ordonnance publiée au JO

[ Ce billet fait partie d’une série sur les ordonnances. Le premier billet : Les ordonnances, des lois mal documentées.
Voir aussi sur ce blog : Trouver et analyser un projet de loi en discussion au Parlement. ]

Les ordonnances sont un type de texte officiel de nature ambigüe en droit constitutionnel français, ce qui rend leur parcours — et leur suivi — assez complexe.

Pour ceux qui ne sont pas veilleurs juridiques professionnels, voici ce qu’il faut savoir et quelques trucs utiles.

Les ordonnances, ou quand le Gouvernement fait le travail du Parlement

La façon dont les ordonnances sont élaborées a des implications sur la veille. Il est donc vital pour les documentalistes, journalistes et veilleurs de comprendre ce qui suit.

 Sous notre Ve République (depuis 1958 donc), une loi n’est pas une loi parce qu’elle a été votée par le Parlement (Assemblée nationale + Sénat). Non, elle est une loi parce qu’elle intervient sur des sujets qui sont, selon la Constitution de 1958, du "domaine de la loi". Hors de ce domaine [1], le Gouvernement est son propre maître (nous ne parlerons pas ici du pouvoir de facto du président de la République, chef de parti, sur son Gouvernement). Cette frontière a été créée parce que le fondateur de la Ve, le général de Gaulle, voulait limiter l’influence du Parlement sur le Gouvernement. Désormais, chacun sa "zone".

 Mais en réalité, vu le pouvoir réel (bien plus important que celui du Parlement) du Gouvernement, il a souvent besoin d’intervenir dans le domaine de la loi (il le faisait déjà sous les IIIe et IVe Républiques par ce qu’on appelait les décrets-lois). Notamment quand il faut :

  • faire passer rapidement les réformes promises par le président de la République (application de son programme de campagne ou bien changement important de sa politique)
  • ou, souvent en urgence, transposer une directive européenne, c’est-à-dire l’adapter au droit français, par le biais d’une loi (ici, donc, une ordonnance, texte à valeur législative) dédiée à cela.

François Hollande, président de la République de 2012 à 2017, a ainsi justifié le recours accru aux ordonnances par le besoin « de faire avancer les dossiers » [2].

Voilà pour le but des ordonnances.

Maintenant, techniquement — et c’est très important pour la veille —, qu’est-ce qu’une ordonnance ? C’est un texte qu’aurait dû prendre le Parlement et que le Gouvernement va prendre à sa place, mais avec son autorisation a priori (avant que l’ordonnance soit publiée) puis sa validation a posteriori (après qu’elle ait été publiée). Comme le mot ordonnance a été et est encore utilisé pour désigner d’autres types de documents, les spécialistes parlent des ordonnances de l’article 38, car c’est cet article de la Constitution qui les a créées.

 Le Gouvernement doit donc demander l’autorisation au Parlement d’intervenir dans sa zone de compétence. Il le fait :

  • en annonçant dans la presse, dans ses discours et dans l’exposé des motifs du projet de loi (plus le dossier de presse sur le site du ministère) ce qu’il veut faire avec son idée d’ordonnance. Ca reste cependant peu détaillé [3]
  • en faisant voter au Parlement une loi d’habilitation. Il s’agit le plus souvent, désormais, d’un article situé vers la fin d’une longue loi (exemple : la loi Pacte du 22 mai 2019 a servi de loi d’habilitation à une longue liste d’ordonnances, annoncées à la fin de celle-ci) et non plus d’une loi spécialement dédiée à habiliter le Gouvernement à prendre une ou des ordonnances. Cet article en fin de loi est court et précise seulement dans quel sujet le Gouvernment entend prendre une ordonnance.

 Pour éviter l’effet "blanc seing", une fois l’ordonnance publiée au JO et appliquée, le Gouvernement doit ensuite la faire ratifier par le Parlement en présentant et faisant voter un projet de loi de ratification.

Les ordonnances sont donc des textes considérés au début de leur existence comme étant de nature réglementaire — mais ayant l’effet d’une loi. Puis, une fois ratifiés, ils deviennent de vraies lois tout en gardant leur nom d’ordonnance.

Pour plus d’informations sur le statut des ordonnances et notamment le manque de transparence attaché à leur élaboration, lire notre billet Les ordonnances, des lois mal documentées.

Comment trouver et suivre une ordonnance

 Au tout début, faites d’abord une recherche sur les moteurs de recherche et dans la presse pour avoir des informations sur le contenu de la future ordonnance.

 Repérez la mention de l’ordonnance à venir à travers la presse et identifiez ainsi précisément le projet de loi et l’article de cette future loi qui donnera l’autorisation au Gouvernement de prendre l’ordonnance.

 Suivez l’évolution de l’article en question de ce projet de loi sur les sites du Sénat et de l’Assemblée.

 Une fois la loi publiée au Journal officiel, le Gouvernement n’a qu’à faire passer en conseil des ministres l’ordonnance pour pouvoir la faire publier dès le lendemain dans le JORF.

Pour savoir si l’ordonnance a été publiée au JO :

  • allez sur le site du Sénat, en bas du dossier législatif consacré à la loi, et consultez le lien Etat d’application de la loi [4]. NB : les échéanciers d’application des lois sur Legifrance ne sont consacrés qu’aux seuls décrets [5]
  • moyen complémentaire (car le site du Sénat peut avoir quelques jours de retard) : balayer le JO sur Legifrance :

Une ordonnance comporte au début des visas (« Vu le texte … »). Ceux-ci citent donc la directive si l’ordonnance en transpose une.

Les ordonnances sont d’autant plus « détectables » qu’elles sont accompagnées d’un rapport (au président de la République) qui les présente et résume leur contenu (exemple). Ce type de document est bien indexé par Google et surtout porte tous les mots-clés qu’il faut (et qui peuvent manquer dans l’ordonnance elle-même), facilitant ainsi la recherche.


Le rapport accompagnant l’ordonnance supra, publié lui aussi au JO

Attention aux délais

 Dans le cas d’une ordonnance, il faut bien vérifier deux délais :

  • le délai de publication de l’ordonnance elle-même. Il est généralement entre 3 et 18 mois (mais plus souvent 6 ou 12 mois) à compter de la promulgation de la loi d’habilitation. Si le Gouvernement oublie de publier l’ordonnance dans ce délai, il lui faudra retrouver dans l’agenda parlementaire un "trou" ou bien arriver à greffer l’habilitation par un amendement sur un projet de loi en examen [6] ou bien encore dégoter un futur projet de loi pouvant re-héberger la disposition d’habilitation. Beaucoup de retard à prévoir ...
    Si le Gouvernement laissait passer ce délai et prenait quand même l’ordonnance, elle serait illégale
  • le délai de publication au JO de la loi de ratification, défini là aussi par la loi d’habilitation. Généralement 3 ou 6 mois à compter de la publication de l’ordonnance au JO. Attention, il faut faire assez vite — en effet, la procédure parlementaire pour une loi prend au minimum deux mois. Si le Gouvernement est trop tardif à soumettre au Parlement le projet de loi de ratification, comme l’ordonnance a été prise par lui dans des matières qui lui sont normalement interdites, elle va perdre toute valeur. Tous les droits et devoirs qu’elle a créés disparaîtront ! C’est déjà arrivé [7] et une autre fois, ça a failli de très peu.

 Dans le cas d’une ordonnance de transposition de directive, il faut ajouter un troisième délai :

  • le délai imposé par la directive pour sa transposition. Souvent le 1er janvier de l’année n+2.

Pas de travaux préparatoires (en amont) ni d’échéancier des décrets d’application (en aval) pour une ordonnance

Comme expliqué plus en détail — et regretté — dans notre précédent billet sur les ordonnances Les ordonnances, des lois mal documentées, il y a un "dark side" des ordonnances :

  • qui dit ordonnance dit absence de travaux préparatoires (au sens de travaux "parlementaires"), à l’exception de l’étude d’impact. Et pas de publication de l’avis du Conseil d’Etat [8]. Le Gouvernement peut choisir de rendre public l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi d’habilitation (exemple) — qui précède et autorise l’ordonnance —, mais pas celui sur l’ordonnance elle-même car une ordonnance n’est pas prise par le Parlement et n’obéit donc pas au régime de publication des travaux législatifs
  • les documents préparatoires aux ordonnances ne sont pas non plus communicables au titre de l’accès aux documents administratifs car ils relèvent d’une exception appelée « secret des délibérations du Gouvernement » [9]. Donc pas moyen d’avoir accès aux documents préparatoires aux ordonnances
  • la fonctionnalité "échéancier des décrets d’application" sur Legifrance ne concerne pour l’instant que les lois. Pas les ordonnances.

Emmanuel Barthe
juriste documentaliste, veilleur

Pour aller plus loin :

Notes

[1Délimité par l’article 34 de la Constitution.

[2Point presse de Mme Vallaud-Belkacem, porte-parole, du 3 janvier 2014.

[3Par sa décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, le Conseil constitutionnel a précisé que l’article 38 de la Constitution obligeait le Gouvernement à indiquer avec précision au Parlement « lors du dépôt d’un projet de loi d’habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu’il se propose de prendre ».

[4C’est une application de la base APLEG (application des lois) que le Sénat continue de tenir à jour.

[5Sur ces deux systèmes d’échéancier des textes d’application, voir notre billet Suivi de l’application des lois v. échéancier des décrets : le Sénat plus complet que Légifrance, mais moins à jour.

[6« Entre 2007 et 2011, 37 % des 145 ordonnances publiées se fondent sur une habilitation consentie après adoption d’un amendement du Gouvernement. Les amendements insérant des mesures d’habilitation sont en général proposés par le Gouvernement lors de la première lecture de la première assemblée saisie. » Source : Les ordonnances prises sur le fondement l’article 38 de la Constitution, Sénat, février 2014.

[7« Le Conseil d’Etat a déjà été conduit à constater la caducité d’une ordonnance. Saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre l’ordonnance n° 2002-327 du 7 mars 2002 portant adaptation de la législation aux transports intérieurs dans les départements de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique et création d’agences des transports publics de personnes dans ces départements, il a déclaré le recours devenu sans objet dans la mesure où l’ordonnance était frappée de caducité du fait de l’absence de dépôt d’un projet de loi de ratification avant la date butoir du 30 juin 2002 (CE, 2 avril 2003, n° 246748, publié au recueil Lebon). La caducité conduit à la disparition de l’ordonnance de l’ordonnancement juridique et au rétablissement de l’état du droit qui avait cours avant l’entrée en vigueur de celle-ci (Décision du Conseil constitutionnel n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986 sur la loi relative à l’élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales). » Source : Les ordonnances prises sur le fondement l’article 38 de la Constitution, Sénat, février 2014.

[9Le secret des délibérations du Gouvernement et des autorités de l’exécutif, site de la Commission d’accès aux documents administratifs, consulté le 25 novembre 2017.