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Les éditeurs juridiques et le PDF
Un format bien aimé des clients, mais mal aimé des éditeurs ?

[Mise à jour au 21 septepmbre 2022 :
Apparemment, les éditeurs juridiques et presse savent qu’il y a de nombreux abus sur les numéros entiers de leurs revues et leurs newsletters PDF.
Résultat des courses : ils tendent à en restreindre l’accès. Dernier exemple en date : Indigo Publications supprime l’accès à la newsletter PDF d’Africa Intelligence pour ses clients n’ayant pas pris l’abonnement "firm-wide".
Par ailleurs, il faut souligner que les PDF peuvent parfaitement embarquer un mouchard. La fonctionnalité est en standard dans Adobe Acrobat. :

Mise à jour au 7 mars 2022 :
17 ans après, on en arrive enfin à la publication en ligne des fac-similés PDF (mais on ne peut pas dire que les éditeurs, à l’exception de Lamy, furent sensibles à nos demandes, c’est juste que les chaînes de production numériques ont été adaptées — le passage au en ligne et la Covid n’y étant pas pour rien) :

  • Wolters Kluwer France (Lamy) fut le premier (sur Lamyline) et a aujourd’hui toutes ses revues en PDF (mais pas les articles individuels)
  • LexisNexis France a largement passé (pas toutes) ses revues en ligne sur Lexis 360 en PDF (mais pas les revues en entier, juste les articles individuels, soit l’inverse de Lamy)
  • Lextenso vient de le faire (articles, pas revues).

Dalloz et Francis Lefebvre restent sur le Flash. Hélas.

Mise à jour au 30 septembre 2008 :
Ca bouge, il y a plus de PDF sur les bases en ligne, mais le plus souvent, ce n’est que la version PDF d’un fichier texte ASCII (Lamyline, Lexis-Nexis-Jurisclasseur), alors que le sujet ici, c’est : à quand la version PDF *image ou "ocrisée"* du papier ?
Pas de PDF sur Navis, rien sur Lextenso alors que sur l’ancien site des Petites Affiches, on l’avait.
Quelques évolutions récentes : la reproduction à l’identique des études de l’Encyclopédie Dalloz sur Dalloz.fr (remarquable), et les versions Flash (pas PDF hélas) des revues sur Lamyline Reflex.]

Le problème

Les éditeurs français se méfieraient-ils du format PDF ? Peu en fournissent, et certains des audacieux font marche arrière. Ainsi, à partir de 2005, à l’occasion du transfert sur le portail Lextenso de la version numérique de la revue Les Petites affiches, l’éditeur supprime la version PDF jusqu’ici disponible pour les abonnés à son site payant. Je peux comprendre leurs raisons : ainsi que l’explique [1] Frédéric Etchart, directeur marketing des Petites affiches :

  • unifier les sites web fournissant leurs revues permet de simplifier, rationaliser (donc faire des économies)
  • selon lui, le format PDF facilite un peu trop la contrefaçon numérique et met en danger leurs revenus.

Plusieurs remarques cependant :

  • il existe bel et bien des solutions pour empêcher la copie des fichiers PDF. Par exemple, la librairie en ligne de la Chambre de commerce internationale (CCI-ICC) propose à la vente des "e-books" (livres numériques) au format Acrobat 6.0 sécurisés chacun par une clé d’activation envoyée séparément. L’Harmattan — moins investi dans le juridique que d’autres, certes — propose sur sa librairie/catalogue en ligne près de 6000 e-books et fournit une FAQ correcte sur l’e-book, qui illustre à la fois les avantages (prix 30% moins élevé que le papier, chez L’Harmattan) et les inconvénients (impression possible (une fois seulement à la CCI !), mais pas de copier-coller, pas de prêt et un e-book illisible ailleurs que sur l’ordinateur de téléchargement)
  • les Dictionnaires permanents des Editions Législatives maintiennent leurs Bulletins d’actualité sous PDF
  • le PDF est devenu un standard de facto dans le monde juridique, notamment pour la reproduction des documents officiels (rapports, textes officiels du JORF sur Legifrance et du JOUE sur EUR-Lex)
  • le PDF évite de passer beaucoup de temps à photocopier pour répondre aux demandes de recherche
  • le PDF facilite le passage vers le numérique tant désiré par les éditeurs juridiques français, vu qu’ils ont maintenant des produits assez complets à proposer et qu’ils aimeraient bien récupérer leur mise de fonds après tout ce qu’ils ont investi dans le numérique
  • si on est prêt à payer et négocier les droits pour cela, le PDF est le format idéal (avec le RTF et le HTML, Word moins mais on ne peut pas complètement l’éviter) pour créer une bibliothèque numérique, c’est-à-dire pour que les structures, les "practices" et leurs services de documentation s’approprient le numérique, le fassent leur et franchissent enfin le pas en toute confiance car ils auraient enfin "leurs" documents numériques et non une connexion sur abonnement à un serveur distant - un avantage du PDF est de faciliter l’archivage des documents ou données qu’on a payées. Quelle autre solution d’archivage offrent les éditeurs à ceux qui résiliraient l’abonnement ?
  • enfin et surtout, de l’avis des documentalistes et juristes, le PDF est commercialement et "ergonomiquement" un "plus" pour un produit éditorial juridique en ligne : les juristes apprécient particulièrement la reproduction parfaite du papier. J’ajoute que les membres de Juriconnexion ne cessent d’insister auprès des concepteurs des produits éditoriaux en ligne sur le grand intérêt de ce format à leurs yeux et aux yeux de leurs utilisateurs [2]. Clairement, nous voulons pouvoir imprimer correctement et que ça reprenne la mise en page distinctive et beaucoup plus lisible du papier (autrement dit, les clients ne veulent plus perdre leurs repères visuels, apprendre sans cesse de nouvelles commandes sur les logiciels, de nouveaux opérateurs logiques : pour cela, il faut standardiser entre éditeurs et "copier" le papier — sans jeu de mots).

Les raisons de fond

Il est exact que le renforcement de la lutte contre la contrefaçon est nécessaire, légitime et justifié. Que les Français ne reconnaissent pas assez l’importance de l’information dans notre société et notre économie. Et qu’ils rechignent encore à en payer le vrai prix (ce qui ne veut pas dire qu’il faut tomber absolument dans l’excès inverse).

Pour autant, garder sa propriété intellectuelle au chaud chez soi et ce à tout prix — au propre comme au figuré — n’est pas le meilleur moyen de la vendre. En France, nous n’avons même pas l’exception de "fair use", les règles de la propriété intellectuelle sont donc tout puissantes et les éditeurs sont tentés d’en profiter. Dès lors, pourquoi s’étonner que de très nombreux clients refusent de jouer un jeu où ils sont perdants ?

Quand allons nous sortir de cercle vicieux et schéma stérile ? : les utilisateurs "copillent" trop facilement le numérique -> les éditeurs restreignent les fonctionnalités numériques OU bien les conditions d’utilisation (licence) OU bien proposent des tarifs inabordables -> les clients refusent ou restreignent leur passage au numérique OU "copillent" pour "en avoir pour leur argent" -> etc.

Les clients vont-ils une fois de plus revaloriser le papier et refuser de franchir le pas vers le numérique [3] ?

Deux solutions techniques

Une solution partielle et à terme : les mesures de protection technique et le DRM

Où en sont donc les recherches des éditeurs sur une protection intelligente contre la copie de fichiers et bases de données ? Les recherches sur le DRM n’auraient pas assez avancé faut-il croire [4] ? C’est possible mais l’exemple supra des e-books à clé d’activation sous Acrobat tend à montrer qu’on commence maintenant à avoir de vraies solutions.

Je précise à cet égard que les techniques de protection des fichiers comportent elles aussi des risques de limitations excessives des droits des utilisateurs et des rigidités peu pratiques [5]. Le DRM risque en effet de provoquer encore bien des négociations serrées, des refus d’abonnement et des protestations collectives. Et supposera de lutter contre les effets négatifs des concentrations éditoriales croissantes. C’est clair.

Mais au moins les protections techniques et le DRM rassurent elles les éditeurs et les auteurs, puisqu’elles permettent de laisser des fichiers numériques entre les mains de clients sans systématiquement craindre la contrefaçon puisque les fichiers sont alors reproductibles *uniquement* selon les termes de la licence.

Une solution insatisfaisante mais facile et immédiate : travailler les styles d’impression

En attendant que les éditeurs surmontent un jour leur peur du PDF et du "copillage" (expression copyright CFC), ils pourraient au moins développer un pis-aller (mais vraiment un pis-aller, ce n’est pas du tout la solution idéale à nos yeux) : se rapprocher de la version papier soit grâce au RTF, voire au format Word, soit par des feuilles de style CSS.

L’option RTF/Word : l’éditeur fournit en téléchargement, une version RTF ou très éventuellement Word [6]. L’idée est de se rapprocher de la mise en page et des polices de caractères de la version papier en profitant des possibilités assez avancées de formatage du RTF [7] et très avancées de Word.

Pour l’option CSS, il s’agit de fournir pour chaque page de contenu deux feuilles de style CSS (en clair pour les non technophiles : un habillage, une mise en page, comme un style Word) :

  • une CSS pour la visualisation à l’écran : ce serait la CSS par défaut ; elle serait la plus lisible possible à l’écran pour une résolution d’écran 1024 * 768 (la résolution la plus courante aujourd’hui dans les entreprises et cabinets français — et de loin)
  • une CSS pour l’impression : l’autre feuille CSS remplacerait automatiquement la mise en page par défaut lorsqu’on cliquerait sur le lien ou le bouton Imprimer ; elle s’approcherai le plus possible de la mise en page du papier. Précisons à cet égard que depuis la version 9.0 de Word (Word 2000), les documents Word (donc .DOC) sont en fait des fichiers XML dotés d’une feuille de style interne au fichier. La récupération de la feuille de style Word pour gérer l’affichage de pages Web (format HTML) est donc possible.

Les limites de ces deux options :

  • des déformations inévitables à l’impression par rapport à l’écran
  • surtout, l’impossibilité de reproduire à l’identique la version papier.

Entre parenthèses, des CSS efficaces supposent que le produit éditorial en ligne soit au format HTML conformes aux normes XHTML 1.0 et CSS 3.0 recommandées par le W3C. Sur ce sujet, quelques pages web éclairantes :

Evidemment, à moyen ou long terme, surtout face à la concentration croissante des éditeurs juridiques au sein de grands groupes d’édition mutinationaux (Reed-Elsevier (LexisNexis SA, Litec, DO), Wolters-Kluwer (Lamy, JNA, Liaisons), Thomson (Transactive)), l’adoption du format PDF par les éditeurs français dépend largement du degré d’entente entre clients et fournisseurs, et de la capacité des éditeurs d’entendre les demandes de leurs utilisateurs. Mais ceci est une autre histoire ...

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique

Notes

[1Message de Frédéric Etchart sur la liste Juriconnexion le 19 janvier 2005.

[2Le PDF a été une de nos demandes les plus fortes lors des dernières réunions de Juriconnexion avec les Editions Francis Lefebvre et Lamy à propos de leurs produits électroniques.

[3Lire sur ce sujet mon article Papier contre numérique ou papier avec numérique ?.

[4Cf mon article sur le DRM. Voir aussi le mémoire d’Herwann Perrin

[5Cf mon article précité sur le DRM

[6Un des inconvénients du Word est son poids en Ko, en Mo devrais-je dire, qui ralentit les téléchargements dès qu’on dépase les 50 pages A4 ; il y a surtout le problème que Word n’est pas un format universel, il impose aux clients de posséder une version récente de Word.

[7Exemple des possibillités de formatage du RTF : on peut parfaitement créer et gérer des notes de bas de page et des styles sous RTF.