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Droit applicable au plagiat de la recherche

Le plagiat en matière de recherche universitaire : comment le sanctionner en droit ?
Une synthèse

Une discussion sur Twitter m’amène à faire un point rapide sur les bases légales permettant de sanctionner, en droit, l’auteur d’un plagiat en matière de recherche scientifique (thèse, mémoire, article publié dans une revue scientifique, projet ANR ...).

Cette synthèse peut être utile, nombre de chercheurs, y compris dans le milieu scientifique, voyant le délit de contrefaçon de manière trop large et ignorant dans le même temps que d’autres approches juridiques sont possibles.

Le droit

Plusieurs bases légales sont donc possibles, l’une n’excluant pas l’autre :

  • la propriété littéraire et artistique, dite aussi droit d’auteur, et qui punit la contrefaçon (c’est du droit pénal). « Les idées sont protégées par le droit d’auteur dans la forme originale sous laquelle elles sont exprimées ». Ce qui englobe le copier-coller d’extraits, même en partie modifiés
  • le parasitisme aussi. Le parasitisme est une branche (très puissante [1]) de la responsabilité civile. Le plagiat constitue une faute et cause un préjudice en terme de carrière : les conditions d’application de l’article 1240 (ex-1382) du Code civil sont donc réunies (voir p. 12 de la version PDF du commentaire d’arrêt cité infra)
  • les sanctions disciplinaires, enfin [2]. Les sanctions possibles comprennent :
    • dans l’affaire discutée sur Twitter, l’Ademe et l’ANR vont exclure le plagiaire des appels à projets (AAP) pour cinq ans. Autrement dit, le plagiaire perdra accès pendant 5 ans à une importante source de financement
    • le retrait des publications "plagiantes" des portails universitaires comme theses.fr ou HAL
    • dans le cas d’une thèse "plagiante", son annulation. Ce qui remet en cause l’obtention du doctorat
    • le CNU peut aussi retirer la qualification à la maîtrise de conférences ou aux fonctions de professeur à un collègue reconnu fautif de plagiat
    • dans l’affaire infra (Cass. Crim. 15 juin 2010), comme dans une affaire plus récente, la radiation [3] de la profession d’avocat.

Attention en sens inverse au risque de diffamation ou de dénonciation calomnieuse (c’est aussi du pénal) si le plagié dénonce publiquement son plagiaire tant que sa sanction ou condamnation n’est pas rendue publique — par la presse par exemple, ou l’institution à laquelle il appartient.

En droit français, la décision de justice qui fait référence — autrement dit, jurisprudence — en matière de plagiat de la recherche scientifique est un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 juin 2010, Edmond Y. n° 09-84.034, commenté notamment par Jacques Larrieu à la Revue Juridique de l’Ouest [4].

Sur les limites de la base légale de la contrefaçon en matière de travaux de recherche universitaire, le professeur Gilles Guglielmi est très clair [5]. Il conclue ainsi, appelant à une réforme du droit applicable : « Il apparaît de plus en plus clairement que le délit de plagiat devrait être redéfini lorsqu’il porte sur des travaux de recherche, dont la logique est totalement spécifique et ne repose pas sur la seule notion de propriété intellectuelle de l’auteur, mais sur celle d’intérêt général ; que l’action publique devrait pouvoir être mise en mouvement par des acteurs la communauté scientifique elle-même ; que les délais de prescription devraient être revus en fonction de la gravité de l’atteinte portée au système de production de la connaissance scientifique tout entier, et des peines accessoires prévues pour en paralyser les effets délétères. »

La professeure Laure Marino, à la Semaine juridique édition Générale, va dans le même sens d’un besoin de réforme [6].

Réalisé avec keepcalm-o-matic.co.uk

A noter que depuis l’arrivée de ChatGPT et autres IA génératives (IAG, dits aussi modèles de langage ou LLM) fin 2022, la production de plagiat et son masquage sont devenus encore plus faciles. Quant à la génération d’articles scientifiques par IAG, elle pose encore d’autres problèmes. Voir cet article de Nature de juillet 2024 : AI is complicating plagiarism. How should scientists respond ?.

Ressources utiles en droit et éthique

Une bibiographie (non exhaustive mais y tendant [7]) sur ce sujet :

Emmanuel Barthe
juriste documentaliste

Notes

[1Voir la condamnation d’ENI pour parasitisme par le tribunal de commerce de Nanterre fin septembre 2021 : ENI est condamné à verser à EDF 2,5 millions d’euros du fait du « préjudice résultant pour cette dernière des gains manqués au titre de la captation illicite de sa clientèle », et 500.000 euros au titre de coûts supplémentaires de traitement.

[2Pour des exemples, voir D. Préjudices, sanctions, prévention du plagiat p. 14 et suivantes dans l’avis du COMETS (CNRS) de 2017.

[3Thèse plagiée : Arash Derambarsh radié du barreau, Le Monde.fr avec AFP, 27 avril 2021. M. Derambarsh conteste et contre-attaque en justice.

[4Le plagiat universitaire sanctionné Commentaire Cass. crim. 15 juin 2010, Edmond Y. n° 09-84034, par Jacques Larrieu, Revue Juridique de l’Ouest, 2011, 1, pp. 115-131. J’ai repris de ce commentaire d’arrêt les trois possibilités de sanction en droit.

[6Repenser le droit du plagiat de la recherche, étude par Laure Marino, JCP G, n° 50, 12 décembre 2011, doctr. 1396.

[7Très, très peu a été publié en France sur le sujet "droit du plagiat de la recherche", y compris chez les éditeurs juridiques.