Le droit n’est pas assez accessible ni compréhensible : professionnels du droit, et si vous vulgarisiez ?
Une étude sur l’accessibilité du droit en France suggère des pistes de marketing juridique innovant
Le Village de la Justice a publié en mai 2015 une étude sur l’accès au droit et les besoin en matière d’information juridique en France réalisée suite à sondage par l’AVIJED (PDF, 17 pages) [1].
Elle amène à suggérer aux professionnels du droit :
- de tailler étroitement leurs publications sur le Web pour leurs clients et prospects
- d’utiliser la simplicité et la force de conviction de l’image à l’appui de leurs propos
- et de faire former leurs clients aux principaux sites juridiques publics pour mieux valoriser le travail du juriste.
Face au constat alarmant que "88% des citoyens français estiment que la Justice est trop complexe et que 80% d’entre-eux considèrent que le langage judiciaire est peu compréhensible" [2], l’AVIJED en partenariat avec le Village de la justice a initié simultanément en 2013 deux enquêtes sur l’accès au Droit.
L’une s’adressait au grand public et s’interrogeait sur la relation des citoyens au Droit et leurs besoins en terme d’information juridique ; la seconde s’adressait aux professionnels du Droit afin de connaître notamment, la place et la mise en oeuvre de la vulgarisation juridique dans leur quotidien professionnel. J’ai répondu à la deuxième enquête.
Les pratiques de recherche d’information juridique du grand public
Sur les recherches d’information juridique menées par les particuliers, l’étude souligne sans le dire expressément le rôle clé des sites web publics, et d’abord Legifrance et service-public.fr, les deux sites phares tenus par la DILA [3]. Les sondés (128 répondants) obtiennent en effet leur information juridique à 82% sur Internet :
- sur des sites officiels publics tels que Legifrance ou service-public.fr (24%)
- sur des forums internet (13%)
- sur des sites d’aide juridique associatifs ou privés (12%)
- sur des sites de professionnels du droit (13%)
- 20% des participants ont par ailleurs utilisé un moteur de recherche par mot clé pour les orienter dans leur recherche juridique
- le reste des participants recherche des informations juridiques dans la presse ou des livres (6,5%), directement auprès d’associations ou permanences publiques d’aides juridiques (4%) et directement auprès de professionnels du droit (7,5%). [...]
« Les participants ont un regard critique sur l’information juridique recherchée : 60% des sondés ne font pas systématiquement confiance aux éléments trouvés par eux-mêmes et 5% n’ont jamais ou presque jamais confiance dans les informations trouvées. En revanche, 35% précisent avoir souvent confiance dans l’information dénichée. [...]
La moitié des participants à ce sondage (50%) a plus confiance dans les informations provenant de services publics que dans les informations provenant de services privés ! Seuls 6,5 % des sondés font plus confiance aux informations provenant de services privés, tandis-que les 43,5 % restant n’ont pas d’a priori sur le sujet. »
La vulgarisation du droit par les professionnels
Sur la vulgarisation du droit par les professionnels (105 répondants) :
« La vulgarisation juridique fait partie de la pratique quotidienne des professionnels du droit : 78% des sondés vulgarisent le droit dans leurs professions de manière régulière. [...]
Certains commentaires libres laissés par des sondés décrivent les méthodologies utilisées pour vulgariser. Les pratiques les plus citées ont été les suivantes :
- se mettre à la place de son interlocuteur en imaginant les questions qu’il peut se poser et comment y répondre
- utiliser des exemples concrets, des schémas, des graphiques, des illustrations pour
rendre le droit plus attractif.[...] L’exercice de la vulgarisation semble toutefois ne pas être évident pour la grande majorité : elle est plus ou moins simple pour 50% des participants, plutôt difficile pour 41% d’entre eux, et très difficile dans 5% des cas.
Malgré cela, les participants ne dirigent jamais ou presque jamais (dans 69% des cas), ou de manière non systématique (dans 21% des cas), les clients/justiciables vers d’autres services de vulgarisation.
Lorsqu’ils décident effectivement d’orienter les clients/justiciables vers ces services, ils le font essentiellement vers des sites ou des organismes publics. »
Des conclusions à tirer pour les professionnels du droit
Il y a là clairement des conclusions à tirer pour les professionnels du droit, car si leurs sites web et leurs blogs sont tout aussi fiables que ceux de Legifrance ou service-public.fr, ils sont aussi en très bonne position pour devenir les champions de la vulgarisation du droit et faire revenir en consultation les Français [4]. Aucune PME, aucune TPE ne devrait aller qu’en dernier recours chez un avocat ou un notaire. Et pour les particuliers, l’heure au téléphone à 90 euros n’est pas si cher payer vu l’exhaustivité et la fiabilité d’un professionnel du droit. Les relations du particulier ou du dirigeant de TPE sont certes animés par les meilleures intentions dans leurs conseils, mais comme la médecine, le droit reste un domaine technique où les erreurs et les délais dépassés coûtent bien plus cher que 90 euros.
L’étude de l’AVIJED suggère des pistes de valorisation pour les professionnels du droit, autrement dit de marketing et de "business development" :
- alimenter leur site web en informations juridiques taillées pour leurs clients, aisément compréhensibles par eux. Le point essentiel est là : rédiger selon leur niveau de lecture et leur vocabulaire, soigner la lisibilité de la police de caractères, prévoir une version pour impression et une version mobile du site ...
- investir dans des "legal information designers", comme SketchLex. L’efficacité dans la vulgarisation et la force de conviction des dessins, schémas et logos réalisés par ces juristes dessinateurs sont redoutables
- et de faire former leurs clients à Legifrance ... pour mieux leur en montrer les limites. Car ce sont là des documents juridiques officiels mais bruts de décoffrage, sans aucune explication ni interprétation. Quant à service-public.fr, s’il utilise un langage compréhensible par (presque) tous et traite quasiment tous les problèmes juridiques de base des particuliers, il ne prend quasiment pas en compte la jurisprudence, ne traite que des sujets classiques et très brièvement. La valeur ajoutée du juriste professionnel est alors évidente.
Retrouvez l’étude complète sur le site du Village de la Justice.
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique / webmestre / veilleur / formateur
Notes
[1] Etude sur l’accès au droit et les besoin en matière d’information juridique en France : Vision du public français sur l’accessibilité du droit en France (Enquête n°1), Vision des professionnels du droit sur l’accessibilité du droit en France (Enquête n°2), Mai 2013 – Mai 2014, par l’Association pour la Vulgarisation de l’Information Juridique et l’Education au Droit (AVIJED), en partenariat avec Le Village de la Justice.
[2] Selon l’enquête "Opinion des Français sur la Justice 2013" du Ministère de la Justice ; Laurette Cretin (InfoStat n°125, 22.01.2014).
[3] La Direction de l’information légale et administrative (DILA) résulte de la fusion de la Direction des Journaux officiels (DJO) et de la Documentation française (DF).
[4] A cet égard, on ne peut que regretter la décision du Conseil national des Barreaux (CNB) de fermer sa plateforme de blogs d’avocats. Legavox a toutefois récupéré une partie de ces blogs. La visibilité offerte par un blog est illustrée par le champion de Legavox, Me Anthony Bem, qui a publié sur cette plateforme plus de 1900 articles.
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