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Le documentaliste juridique entre bibliothécaire et "knowledge worker" : une évolution
Une synthèse et une bibliographie sur l’évolution en cours du métier de documentaliste juridique et plus généralement de bibliothécaire

Plan
Synthèse
Littérature sur le secteur juridique (documentalistes et paralegals)
Littérature hors secteur juridique
Plus annexes, mais quand même

En 2004, trois collègues documentalistes juridiques et moi-même nous avons créé un groupe de travail informel pour réfléchir sur l’évolution de notre profession [1]. En quelques mots : sommes nous toujours utiles et sur quoi ?

Synthèse

La réponse est : oui — sinon, nous aurions disparu :-) —, mais notre métier a beaucoup changé. Nous ne sommes et ne serons plus de simples conservateurs-catalogueurs de publications papier. Nous le sommes toujours, mais moins, et nous sommes devenus beaucoup d’autres choses.

Lesquelles ? Eh bien, nous sommes devenus des :

  • acheteurs/négociateurs de licences d’accès à des plateformes et bases de données
  • évaluateurs et sélectionneurs de ressources en ligne utiles et de qualité, particulièrement de sites et blogs (c’est une des principales missions du groupe de travail Juriformation, qui oeuvre au sein de l’association Juriconnexion)
  • veilleurs sur les nouvelles ressources (cf point supra)
  • veilleurs aussi sur les revirements de jurisprudence et plus encore les réformes législatives et réglementaires
  • des conservateurs/archivistes numériques, d’autant plus que les fournisseurs de ces nouvelles ressources numériques n’ont souvent pas ou peu prévu de solution de conservation à long terme
  • des catalogueurs-indexeurs de ressources, de documents et de données juridiques externes voire internes (GED, "bibles" de modèles)
  • des organisateurs/chefs de projet ou conseils et participants dans les projets de GED (ou "content management") et knowledge management (KM) (gestion du savoir)
  • des femmes et des hommes de réseau, de communication et de contacts entre métiers différents (éditeurs bien sûr, professionnels du droit, informaticiens internes et externes, chargés de communication et marketing)
  • concepteurs/chefs de projet d’applications documentaires, telles des intranets, des solutions de veille plus ou moins automatisées
  • formateurs à l’utilisation de toutes ces ressources numériques.

Et, évidemment, nous devons nous remettre en question et nous adapter.

Revue de détail à travers les articles suivants :

Littérature sur le secteur juridique (documentalistes et paralegals)

  • Paralegals and legal assistants / U.S. Department of Labor Bureau of Labor Statistics (Occupational Outlook Handbook)
    Extrait :

    « Paralegals are projected to grow faster than average, as law offices try to reduce costs by assigning them tasks formerly carried out by lawyers. »

  • Lamy "Le droit et ses métiers" (guide annuel), avec chaque année une interview d’une documentaliste juridique. Pour l’édition 2006, Delphine Saignavong, documentaliste chez Gide
  • Documentation juridique : du papier à l’électronique, Juristes associés 23 novembre 2007. Extrait : « Les documentalistes au sein des directions juridiques ont vu leur rôle s’étoffer sous l’effet de l’explosion des nouvelles technologies. Mais le chemin vers le knowledge management est encore long ... [...] La documentation juridique semble appelée à jouer un rôle croissant dans la gestion des [bases de contrats]. »
    Un article bien informé, sauf à la fin quand l’auteur s’étonne que « les recherches ne [soient] pas menées de front par les équipes de documentation juridique d’une entreprise et de celle de con conseil ». Ce que l’auteur ignore peut-être, c’est que très souvent le client entreprise n’a tout simplement pas de service de documentation juridique, d’autant que la tendance chez les clients depuis des années est à confier de facto la recherche de documentation à l’avocat

Littérature hors secteur juridique

  • Le meilleur ennemi du documentaliste / Michel Remize, Archimag novembre 2005
    Extrait :

    « Présenter côte à côte documentaliste et moteur de recherche scandalisera certains. Pourtant le but de cette vision, il est vrai synthétique et partielle, peut-être même partiale, est de confronter, et non de comparer, pour éclairer. L’on souhaite déjà une conclusion : l’un ne va pas sans l’autre. »

  • La doc en pleine dépression / Lauriane de Boischevalier, Archimag novembre 2005
    Cet article cite le cas d’un centre de documentation qui s’est confronté à ses principaux utilisateurs, a arrêté sa revue de presse et s’est tourné, avec succès, vers la veille, la diffusion sélective d’informations.
  • Bibliothèques numériques : une nouvelle équation pour les travailleurs du savoir et de l’information / Hélène Ledouble (enseigne les NTIC et s’intéresse à ses applications pour l’intelligence économique), Le blog de l’intelligence économique [des Echos] 19 décembre 2006.
    Une prise de position et non un simple constat, en partie contestable, mais a le mérite de poser clairement le problème de l’apport futur des bibliothèques et centres de documentation. Le commentaire de Gilles Mas est encore plus intéressant que le billet lui-même !
    Extrait : « La vieille équation de l’analyse — 80% du temps à trouver et à collecter de l’information, 20% du temps pour la réflexion — se trouve totalement inversée. [2] »
    Extrait du commentaire : « La seule réserve que j’y verrais ne porte pas sur le processus qui sert le besoin d’information personnalisé par chacun des "lecteurs" de cette "mémoire du monde virtuelle" mais plutôt le fait que les fonds documentaires retenus sont nécessairement limités et sont, de fait, le résultat d’un choix de l’éditeur numérique qui obligatoirement comporte un biais. [...]
    Vivement que de telles techniques merveilleuses soient mises en oeuvre rapidement dans nos grandes bibliothèques européennes, ne serait-ce que pour élargir le "spectre culturel". »
  • Le projet e-books au SCDU Nancy 1 / Nicolas Morin, revue Lorraines, 8, 2002.
    Ce projet n’a jamais vu le jour. Mais la conclusion de cet article aborde franchement le problème du futur de la profession en termes de gestion de bibliothèque (remplacez simplement "e-books" par "plateformes en ligne des éditeurs" et ce texte s’applique sans difficulté à ce qui représente un bon tiers de l’activité des documentalistes juridiques) :

    « L’arrivée de la documentation électronique à partir de 1999 a donné aux bibliothèques une place qu’elles n’avaient sans doute jamais eues au sein de leur université. Nous sommes devenus incontournables pour les enseignants et les chercheurs qui, c’est le paradoxe de cette nouvelle situation, ont accès grâce à nous à une documentation beaucoup plus riche, mais sans avoir plus jamais besoin de se déplacer à la bibliothèque. Or il faut se rendre à l’évidence : si nous ne poursuivions pas cette politique de développement de la documentation électronique, nous perdrions la position de force qui est la nôtre actuellement, mais sans regagner pour autant les enseignants-chercheurs qui, en tout état de cause, ne fréquenterons plus la bibliothèque comme ils avaient l’habitude de le faire il y a encore quelques années.
    Si on voulait dire les choses de façon un peu provocante, on pourrait dire qu’avec les e-books, les bibliothèques universitaires franchissent un pas de plus dans la direction d’une évolution de leurs missions : de gestionnaires de collections, elles deviennent de plus en plus des fournisseurs de services : elles négocient des contrats, organisent la mise à disposition de l’offre, forment les usagers. Ce qui implique une reconversion difficile, tant pour l’institution elle-même que pour son personnel. »

  • Bibliothèque sans bibliothécaires ? / Joachim Schöpfel, communication au Séminaire des documentalistes des Ecoles d’Architecture, Ecole d’Architecture de Marseille-Luminy 5-8 juillet 2005 (disponible aux formats HTML, Word et PDF)
    Extraits :

    « Et le mouvement du "open access" ? Le modèle économique d’éditeurs alternatifs comme Biomed Central ou IOP s’appuie sur un financement direct par le chercheur-auteur et/ou son établissement, sans avoir recours au budget d’acquisition des bibliothèques. Intégrer les coûts de l’IST dans les budgets des organismes de recherche est un leitmotiv du mouvement "open access". Depuis peu, les grands éditeurs STM commencent également à s’y intéresser. Quelle place alors pour la "centrale d’achat bibliothèque" ?
    Quand un grand éditeur organise un séminaire avec des bibliothécaires et documentalistes, il ne s’agit plus de débattre des contenus ou services mais de présenter de nouvelles fonctionnalités et d’expliquer aux professionnels comment promouvoir les nouveaux produits auprès des leurs communautés. Dans ce contexte, un "bon professionnel" est celui qui réussit à augmenter l’utilisation des ressources et à fidéliser le client.


    Pour terminer ce chapitre, donnons la parole au PDG de Blackwell, Robert Campbell. Lors d’un séminaire fin 2003 à Londres, il a décrit le nouveau rôle du bibliothécaire universitaire du point de vue d’un éditeur (Campbell 2004) :

    • support technique de l’enseignement à distance,
    • intégration des systèmes d’information,
    • mise en place et maintenance des archives institutionnelles,
    • mise à disposition des publications des enseignants-chercheurs avec diffusion des métadonnées
    • évaluation de l’efficacité de la recherche scientifique.


    Par contre, selon lui le bibliothécaire ne jouera aucun rôle dans le nouveau modèle économique de l’IST basé sur le "open access" où les communautés scientifiques prennent en charge les coûts liés aux publications.
    Il termine sa communication avec une recommandation claire : "Librarians (...) should forget their past, make some tough decisions and focalise on the digital future".
    [...]
    Pour sortir de la marginalisation, Arnold (2004) conseille une stratégie politique, un lobbying par les associations professionnelles, une approche proactive vis-à-vis des communautés scientifiques et une implication forte dans des comités et groupes de travail interprofessionnels.
    N’empêche, s’activer sans savoir pourquoi mène nulle part. Acquérir et accumuler les connaissances techniques d’autres métiers pas davantage. Commençons par considérer la bibliothèque numérique telle qu’elle est : une technologie prescriptive (Franklin 1990) basée sur la division du travail et qui développe avec l’argument de l’efficacité et de la productivité des modèles de production sous contrôle externalisé. Pour garder ou retrouver le contrôle du travail, il faut appréhender et apprivoiser cette technologie comme une pratique professionnelle. Actuellement, le coeur du métier - catalogage, développement des collections, référencement/médiation - est en train de se déplacer à l’extérieur de la bibliothèque (Sierpe 2004). Le
    métier lui-même prend une orientation de plus en plus technologique au détriment de ses valeurs traditionnelles, la proximité avec les communautés et le service public, et en négligeant les coûts humains et sociaux. »


    Consultez aussi l’excellente bibliographie en fin d’article.

  • Deux papiers provocants de Laurent Bernat, documentaliste de formation, mais qui a quasiment quitté la profession de documentaliste :
    • Les documentalistes ont l’avenir devant eux, mais ... ils l’auront dans le dos chaque fois qu’ils feront demi-tour ! / Laurent Bernat, Documentaliste-Sciences de l’information vol. 40 n° 2 avril 2003 p.142-146
      Extrait : « Les besoins sans cesse croissants de spécialistes de la gestion, du traitement et de la recherche d’information imposent aux documentalistes de modifier l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et de leur fonction *d’interface* entre des besoins et des réservoirs d’information. C’est là un défi qu’il leur faut relever collectivement, en transformant le discours qu’ils tiennent sur leur métier et en élargissant sa définition. »
    • Pour en finir avec la crise d’identité des documentalistes ! / Laurent Bernat 2 septembre 2002, Mémoire INTD, promotion 1993/1994
      Voir tout particulièrement "E. La documentation demain" p. 23. C’est remarquable de courage, de synthèse ... et de prévision.
      Extraits :

      « Essayons de résumer toutes les "bonnes raisons" qui justifient la disparition de la documentation vers les années 2010 [3] :

      • Interrogation des banques de données : le client disposera d’interfaces-utilisateur puissantes, métaphoriques, et le langage naturel permettra de poser des questions sans avoir recours à l’ésotérisme actuel. De plus, les utilisateurs seront rompus à l’utilisation des autoroutes de données puisqu’elles deviendront leur principal outil de communication professionnelle. [...]
      • La médiation documentaire sera généralement inutile car la majorité des documents importants auront été structurés et repérés lors de leurs processus de création en amont.
      • Les documents non structurés seront disponibles en texte intégral, y compris la littérature grise, qui, créée généralement sous forme numérique, sera directement disponible sur les réseaux. Outre les recherches en texte intégral, l’indexation automatique permettra de réduire les coûts et d’améliorer les résultats des recherches.
      • Les revues de presses : elles se feront automatiquement, à partir du texte intégral saisi pour l’édition des documents, et sur la base du profil personnalisé du client. Les documents non saisis auront été numérisés, indexés et sélectionnés automatiquement.
      • La généralisation du multimédia rendra dérisoire l’utilisation du papier et favorisera la disparition des documents en tant que tels.
      • La documentation interne aux entreprises aura été prise en charge par les directions de l’organisation et de l’informatique qui auront également mis sur pied les formats des documents. En matière de documentation interne, le papier sera uniquement réservé aux archives, pour des raisons légales. Tout le reste sera géré informatiquement, le plus souvent par une ou deux personnes du service informatique, et accessible, moyennant des niveaux d’accès, directement depuis les ordinateurs connectés au réseau.
        [...]


      Face à ce tissu de poncifs parfaitement erronés mais que l’on trouve ici ou là, dans la bouche ou sous la plume des uns et des autres, personne ne propose de grille de lecture. L’avenir, pour les documentalistes, n’est pas rose. [...]
      Paradoxalement, mais exprimant également un malaise profond, lorsque la documentation n’est pas condamnée, elle est portée aux nues : c’est la poule aux oeufs d’or ! [...] Erreur ! Car lorsque l’avenir est décrit comme naturellement porteur pour la documentation, il est également décrit comme ayant peu de chance de se faire avec les documentalistes, dont l’incapacité d’adaptation est poliment soulignée par une fausse note d’espoir :
      Entretien Jacques Chaumier - 01 Informatique
      "01 : La crise du monde documentaire, est-elle réelle ou exagérée ?
      Jacques Chaumier : Mes étudiants me posent la question : mais qu’est-ce qu’on va devenir ? Contrairement à ce qu’on pense, la crise est plutôt favorable à la documentation.(...) L’information, c’est la matière première de la fin du siècle. (...).
      01 : Vous n’avez aucun souci, quant à l’avenir de la profession ?
      Jacques Chaumier : Les documentalistes ont à se battre pour revendiquer la place qui est la leur. Autrement, le risque est que la documentation se fasse mais sans les documentalistes, ce qui serait quand même très dommage."
      Voilà qui est dit. La documentation se fera, mais sans les documentalistes, à moins d’un frémissement, qui ces dernières années se transforme de plus en plus en "divine surprise"... »

  • Le numéro de mai-juin 2010 du Harvard Magazine contient une dizaine de pages (pp 36-41 et 82-83) visant à communiquer, auprès des usagers, sur les changements en cours des métiers des bibliothèques : Harvard libraries deal with disruptive changes / Jonathan Shaw. Commentaire d’Olivier Ertscheidt (affordance.info) :

    « assigner ("mining the bibliome" [4]) aux bibliothèques une mission qui diffère sensiblement de celles qui les caractérisaient jusqu’à lors : il ne s’agit plus simplement de conserver / communiquer / former / préserver / choisir mais bien aussi (et peut-être surtout) de réfléchir / proposer / construire des outils et des modes d’organisation de l’information qui permettront à chacun, en tout lieu et à tout moment ("just-in time") de pouvoir accéder aux tréfonds de ce biblio-génome planétaire. »

  • pour terminer sur une note franchement optimiste, rédigée par un non documentaliste : 7 Great Careers for 2007
    Check out these not-so-obvious options
    / Marty Nemko, Kiplinger 6 avril 2007

    « Forget about the image of librarian as mousy bookworm. Today’s librarian is a high-tech information sleuth, a master of mining cool databases (well beyond Google) to unearth the desired nuggets. »

Plus annexes, mais quand même

  • La notion de "support durable" dans les contrats à distance : une contrefaçon de l’écrit ? / Marie Demoulin (chercheur au Centre de Recherches Informatique et Droit (CRID), FUNDP, Namur), Revue européenne de droit de la consommation 4/2000 p. 361-377
    Extrait : « Le papier : un support à désacraliser
    [...] Ainsi, le support papier lui-même est loin d’être irréprochable. Pourtant, il est fréquemment cité en exemple par l’ensemble de la doctrine, jouissant d’une réputation de fiabilité certaine en matière de preuve. Cette bienveillance marquée à l’égard du support papier sur le redoutable terrain probatoire nous conduit à deux observations. D’abord, l’on ne saurait se montrer plus exigeant en ce qui concerne une simple obligation de confirmer certaines informations. Ensuite, il serait injuste d’exiger des supports informatiques qu’ils s’avèrent plus durables que le papier lui-même. Il nous semble que ce double constat devrait donner le ton à l’interprétation de la notion de support durable, en privilégiant une certaine souplesse. »
  • Thomas Davenport : l’ère des "knowledgeworkers" : propos recueillis par David Barroux, Les Echos 20 octobre 2005 supplément L’art du management 2/10. Extrait pertinent : « La communication est à la base du succès pour le "knowledge worker". Avoir un réseau étendu permet de savoir rapidement vers qui se tourner pour trouver ou diffuser une information. »

Bibliographie réunie par Emmanuel Barthe et Rémy Nerrière, avec la collaboration de François-Xavier Mérigard, knowledgeworkers juridiques :-)

Notes

[1J’ai aussi discuté avec une avocate en charge du KM dans un cabinet d’avocats anglo-saxon, son métier pouvant s’approcher du nôtre par plusieurs aspects, notamment parce qu’une part importante des documentalistes juridiques gère ou aide à construire des applications de gestion du savoir interne (bases de modèles, etc.).

[2Un peu excessif, à mon avis.

[3Tiens, nous sommes bel et bien en 2010. La menace de se faire remplacer est toujours là. Les documentalistes aussi.