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Les modes de règlement alternatif des contentieux (MARC) en plein développement

Le Centre national d’arbitrage du travail bientôt opérationnel
Hubert Flichy prend position sur un marché que la future loi Macron va ouvrir

Annoncée en juin 2014 [1], la création par Hubert Flichy, avocat en droit social et associé fondateur du cabinet Flichy Grangé [2], d’un centre d’arbitrage des litiges du travail approche de son terme.

Le site du magazine Décideurs précise : « Une assemblée générale et un conseil d’administration auront lieu le 18 juin prochain afin de déterminer certaines modalités de fonctionnement : rédaction du règlement d’arbitrage, constitution du barème des frais d’arbitrage et fixation des honoraires des arbitres. Sur cette question, Hubert Flichy avait déclaré qu’ "un coût horaire de 300 euros [n’était] pas prohibitif" » [3].

Une innovation favorisée par la future loi Macron

L’initiative de Me Flichy arrive au bon moment : le projet de loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques [4] cherche à alléger la procédure prud’homale. Comme l’explique La Tribune [5] : « Le règlement des conflits du travail, à l’amiable, via la médiation et l’arbitrage, va être facilité [6]. En effet jusqu’ici, en droit du travail, un salarié même ayant accepté un arbitrage, gardait toujours le droit de saisir le conseil des prud’hommes. Le projet de la loi Macron consiste modifie ce point. La sentence arbitrale, ou tout autre mode de règlement des conflits à l’amiable, mettrait fin, à l’avenir, au différend. Aucune des deux parties n’aurait alors plus le droit de saisir les prud’hommes. »

Pour ou contre l’arbitrage en droit du travail

Le centre n’en était qu’à l’état de projet qu’il faisait déjà débat — et le fait encore :

 Me Flichy met en avant la rapidité de la procédure d’arbitrage : en moyenne 6 mois contre 15 devant le Conseil des prud’hommes de Paris. L’appel d’une sentence arbitrale n’est de surcroît ouvert que par exception, alors qu’un appel d’un jugement de CPH emmène dans les 3 ans de procédure. Il ajoute que « l’arbitrage est un bon moyen de régler les différents de façon totalement confidentielle ». Pour lui, ce dispositif ne concurrencera pas les CPH, il va en effet concerner au premier chef les dirigeants. Sans être dans un logique de coûts faramineux, au contraire [7]. Enfin, Me Flichy met en avant que « deux cents experts du droit sont prêts à participer au Centre d’arbitrage du travail » [8].

 Le Syndicat des avocats de France (SAF) s’opposait au projet dès juillet 2014 en demandant plutôt d’augmenter les moyens des CPH [9]. Membre du Syndicat de la magistrature, Patrick Henriot estime quant à lui que le risque est de créer une « justice à deux vitesses ». Par ailleurs, comme le recours à l’arbitrage « restera très marginal en volume », souligne t-il, « il ne permettra pas de désengorger les conseils de prud’hommes ». Et selon Maude Beckers, avocate en droit du travail et coprésidente de la commission sociale du SAF, dans certains métiers en tension ou postes d’encadrement, « des salariés n’auront pas le choix de refuser l’arbitrage, sous peine de se faire mal percevoir des employeurs » [10].

Une tendance réaliste

Il est difficile malgré les inévitables critiques de ne pas voir une forme de réalisme [11] dans cette nouvelle possibilité d’arbitrage. A l’appui des arguments d’Hubert Flichy, on peut citer l’avis sur la médiation exprimé par des médiateurs aux chambres sociales de la Cour d’appel de Paris : « Délai d’audience beaucoup plus court (quelques mois au lieu d’un renvoi à dans un an) [...]. La mise en place des médiations a un effet positif sur la surcharge de travail des magistrats. » Médiation n’est pas arbitrage, certes, mais tous deux appartiennent à la famille des modes de règlement alternatif des contentieux (MARC).

Les modes de règlement alternatif des contentieux sont par ailleurs partout en progression. Voir par exemple la tendance récente à promouvoir la médiation justement en droit du travail et ce, y compris en appel [12]). C’est une tendance de fond en droit français [13] et ce, depuis au moins les années 90 [14].

On peut donc penser que, loin de se limiter aux dirigeants, l’arbitrage en droit du travail s’appliquera de facto à d’autres types de fonctions et de situations que les dirigeants, comme celle où le salarié et employeur sont liés par des rapports de parenté ou celle du salarié ayant une grande ancienneté [15].

Emmanuel Barthe
Documentaliste juridique
Licence en droit (faculté de droit de Sceaux)

Notes

[1Création du centre d’arbitrage du travail, JCP Social 16 septembre 2014 n° 38. Dès juillet 2014, le nom de domaine Internet centredarbitragedutravail.org a été réservé (le site est en construction).

[2Hubert Flichy a été également pendant dix ans président du syndicat des avocats d’entreprise en droit social, Avosial. Il en est aujourd’hui président d’honneur.

[4"Projet de loi" et non "loi". Pas encore.

[5Pour désengorger les prud’hommes, la loi Macron introduit le règlement "à l’amiable", par Jean-Christophe Chanut, La Tribune.fr 14 février 2015.

[6Par ailleurs, le juges prud’homaux disposeront d’un "référentiel" pour fixer le montant des indemnités. Cela aussi pourrait faciliter l’arbitrage.

[7L’arbitrage, alternative à la justice prud’homale ?, entretien avec Hubert Flichy mené par Patrick Arnoux, Le Nouvel Economiste.fr 15 septembre 2014. Le Centre d’Arbitrage du Travail, une aide pour les juridictions sociales débordées, Village de la Justice 3 juillet 2014.

[8Hubert Flichy : « Deux cents experts du droit sont prêts à participer au Centre d’arbitrage du travail », propos recueillis par Guillaume Le Nagard, Entreprises & Carrières 21 octobre 2014.

[10L’arbitrage en droit du travail : vers une justice à deux vitesses ?, par Astrid Gruyelle, Alternatives Economiques octobre 2014.

[11Présentation du projet de budget de la Justice pour 2015, communiqué Ministère de la Justice, 1er octobre 2014.

[12La médiation, Bulletin d’information de la Cour de cassation, hors-série n° 4, 2006 : voir III - Les spécificités de la médiation en matière de contentieux prud’homal. Expérience de la Médiation Judiciaire aux chambres sociales de la Cour d’Appel de Paris. Bilan de l’expérience aux Chambres sociales, 2009-2010 : dans un contexte difficile, des résultats malgré tout positifs.

[13Médiation judiciaire : la justice de demain, par André Vallini, sénateur PS de l’Isère, 4 janvier 2014. Laure Guibbert, La lente consolidation de la médiation judiciaire : L’expérience des juridictions toulousaines, mémoire de Master 2 Droit Privé-Médiation 2012-2013 Faculté de Droit, Université Lyon 2 Lumière, juin 2013 (PDF, 92 pages). Fabrice Vert (conseiller à la Cour d’appel de Paris, magistrat coordinateur de l’activité des médiateurs et conciliateurs de justice du ressort de la CA Paris), Médiation judiciaire en France, bilan et perspectives, revue de la Chambre de Commerce International, 3ème trimestre 2011 (PDF, 3 pages). Fabrice Vert, La médiation dans le domaine judiciaire en France (PDF, 7 pages), Les Annonces de la Seine 5 mai 2014 n° 21. Voir aussi le programme des VIèmes assises internationales de la médiation judiciaire : Nouveaux enjeux et qualité des médiations : Vingtième anniversaire de la loi française sur la médiation judiciaire 1995-2015, Nice 1er au 4 juillet 2015, Centre Universitaire Méditerranéen (CUM), colloque international organisé par GEMME-France et CIMJ.

[14Marie-Claire Rivier, Pascal Ancel, Gérard Blanc, Marianne Cottin, Olivier Gout, et al.. Les
modes alternatifs de règlement des conflits : un objet nouveau dans le discours des juristes français ?, Université Jean Monnet - Saint-Etienne, CERCRID, mai 2001 : texte intégral (halshs-01050858) (PDF, 173 pages), rapport synthétique.

[15Là encore, la médiation peut donner des pistes. Extraits de la typologie des affaires prud’homales dans lesquelles une médiation est envisageable (annexe 23 au BICC, hors-série n° 4, sur la médiation, 2006) :

  • salarié et employeur liés par des rapports de parenté, matrimoniaux, ou associés
    de la société…
  • exploitant l’entreprise…
  • salarié toujours employé dans l’entreprise…
  • salarié ayant une grande ancienneté méritant d’être prise en compte au regard des motifs de … son licenciement
  • litiges consécutifs aux difficultés de reclassement des victimes d’accidents dutravail ou de maladies professionnelles
  • litiges concernant des salariés des professions libérales
  • litiges concernant les cadres de haut niveau.