L’édition juridique touchée elle aussi par la crise du papier
Les bibliothèques numériques vont avoir le vent en poupe
Crise du papier
Le coût du papier a augmenté de 45% en moyenne ces six derniers mois et même de 80% pour le papier journal. Les délais d’approvisionnement s’allongent.
Les origines sont connues :
- l’inflation du prix des matières premières du fait de la guerre en Ukraine
- la grève géante des ouvriers du papier (groupe UPM) en Finlande, qui s’est terminée fin avril 2022 : 112 jours !
Les papetiers européens ferment leurs usines de production de papier ou vont vers l’emballage, expliquent Les Echos.
Résultat : de 3 à 4 semaines avant la crise, les délais de livraison sont passés de 6 semaines à six mois d’attente, d’après L’Expansion.
Face à la hausse du prix du papier et aux pénuries, selon BFM, éditeurs et imprimeurs jouent leur survie.
Les éditeurs juridiques français et le papier
Certes, en ce qui concerne les éditeurs juridiques français, le papier tient et pour certains produits — principalement les Codes annotés, les Mémentos et les ouvrages de révision (Carrés Rouges Gualino) — les ventes restent bonnes et les coûts contrôlés :
- chez Francis Lefebvre, le papier représente encore environ 40% de leur chiffre d’affaires. Et ils ne sont pas les seuls
- LexisNexis imprime ses Codes en Italie.
Mais les EFL ont beaucoup de chance avec leurs Mémentos. Une telle collection "best-seller" est une exception chez les éditeurs. Rappelons que dans l’édition juridique, un succès de librairie, c’est 500 exemplaires.
Vu le faible tirage des traités, je pense que cette hausse énorme du papier impactera d’abord les revues et plus encore les ouvrages à feuillets mobiles, dont le moyen de fixer les hausses de tarifs des mises à jour était historiquement (années 80-90) le prix du papier.
C’est vrai, l’Italie est un pays low cost, de par plusieurs de ses régions et certains aspects clés de son économie. Mais le phénomène selon Les Echos est européen. Il faut s’attendre à des hausses de prix.
Justement, un collègue documentaliste nous expliquait récemment être obligé de demander une rallonge budgétaire sur les lignes papier que ce soient les périodiques que les monographies) car il constate 25 à 30 % de hausse depuis le début de l’année.
Un autre collègue remarquait que la barre psychologique des 100 euros pour un code Dalloz a été franchie ce mois.
In fine, ça se résume mieux ainsi : dans l’édition juridique, la "tenue" du papier masque en réalité son inexorable recul. Comme le rappelle une collègue documentaliste juridique, le choix des bibliothèques numériques doit aussi beaucoup au nouveau contexte de télétravail (confinement à domicile dû à la pandémie de Covid-19), et c’est un choix qui é été fait bien avant la crise du papier. La hausse des prix et les pénuries risquent d’accroître la tendance alors que les solutions de bibliothèque numérique des éditeurs ne sont, soit pas encore commercialisées, soit pas encore optimales à 100%.
Les bibliothèques numériques : l’offre
Seuls quatre éditeurs juridiques français ont une réelle offre de "bibliothèque" numérique (et non d’ebooks [1]) : Lextenso, Dalloz, Revue Banque et la Revue Fiduciaire (Groupe RF).
Lextenso, le meilleur du secteur — et de loin — dans la catégorie bibliothèque numérique, pourrait toutefois mieux faire sur la largeur du choix d’ouvrages et leur découpage — c’est ce que me disent des juristes. Je les trouve quand même très exigeants :-)
Dalloz, avec Dalloz Bibliothèque, a l’offre la plus large — et de loin — : plus de 3000 titres, dont tous les Précis Dalloz mais aussi les Dalloz Action et la collection Réference. Toutefois, Dalloz Bibliothèque repose sur une application et un moteur de recherche qui n’ont quasiment pas évolué depuis près de 15 ans. En revanche, une nouvelle version de Dalloz Bibliothèque est en préparation pour fin 2022, adaptable aux appareils mobiles (RWD), avec un moteur amélioré et un design/graphisme remis au goût du jour.
La Bibliothèque numérique de Revue Banque est riche en titres. Elle contient notamment la plupart des titres publiés par l’AFB et l’éditeur Revue Banque. Elle n’a hélas pas évolué techniquement depuis longtemps (elle utilise Cyberlibris).
Les ouvrages (appelés ici "dictionnaires", "mensuels", guides ou mémentos) du Groupe Revue Fiduciaire (RF) sont pour partie accessibles sur chaque site spécialisé "Revue" [2] et tous regroupés sur le site RF Edition. Ils sont utilisés principalement par les juristes en droits fiscal et social.
Sur RF Edition, la recherche se fait exclusivement par sujet, des sujets définis par l’éditeur et non pas en texte integral — ce qui pose des problèmes de recherche et amène à privilégier l’accès par titre puis par sommaire. Sur le site global (revues + ouvrages) Portail Groupe Revue Fiduciaire, en revanche, la recherche en texte intégral est disponible. La présentation des ouvrages est en HTML (pas de version PDF du papier) avec le sommaire complet dans la colonne de gauche. Côté antériorité, c’est variable : selon les titres, le fonds remonte à 2019-2020 minimum, et parfois à 2017. En fait, RF garde en ligne la dernière édition de l’ouvrage et supprime la précédente.
Francis Lefebvre intègre dans Navis des ouvrages régulièrement mis à jour mais ils sont peu nombreux et c’est comparativement très lent.
LexisNexis, avec ses prestigieuses collections de traités, est (pour l’instant) le grand absent.
Les bibliothèques numériques : une solution ?
Les avantages des bibliothèques numériques des éditeurs juridiques sont clairs :
- plus de problème d’ouvrage emprunté ni de disparition d’ouvrages
- télétravail facilité
- recherches en théorie facilitées :
- par la présence d’un moteur de recherche interne
- et par un fonds qui peut (chez Dalloz surtout) être important.
Les défauts des bibliothèques numériques, aux yeux des juristes et des bibliothécaires documentalistes, sont de cinq ordres :
- sauf le cas de Francis Lefebvre, l’impossibilité de choisir à l’unité les titres des ouvrages. Vu la qualité inégale — surtout quand l’offre est vaste comme chez Dalloz — des auteurs, ça peut être gênant dans les structures les plus exigeantes [3]
- les limites de certains moteurs de recherche. Notamment, dans le cas de Dalloz Bibliothèque, on ne peut pas chercher sur une unité documentaire plus restreinte que l’ouvrage
- le format PDF n’est pour l’instant nulle part disponible alors que la communauté des juristes le plébiscite depuis toujours. L’idéal serait HTML par défaut, surtout pour les smartphones, et le PDF en deuxième temps si on a un écran qui le permet
- à part Lextenso et Francis Lefebvre (Navis), les autres bibliothèques numériques ne sont pas intégrées dans la plateforme principale de l’éditeur. Elles sont publiées sur des sites (URLs) distincts. Les ouvrages ne sont donc pas cherchables avec le reste
- en cas de résiliation de l’abonnement, le client ne garde absolument rien.
Pour plus de précisions, voir sur ce blog Petit guide de conception des plateformes, bases de données et sites juridiques à destination des SSII, des éditeurs et des institutions.
Emmanuel Barthe
bibliothécaire documentaliste juridique
Notes
[1] Une bibliothèque numérique offre à distance par Internet, sur le site d’un éditeur ou d’un de ses prestataires, des ouvrages au format HTML ou PDF. Un ebook au sens strict est un fichier téléchargeable et consultable en local sur l’ordinateur ou l’appareil mobile du lecteur.
[2] Revue fiduciaire, RF Comptable et RF Social.
[3] En droit des affaires, on achète peu de Précis Dalloz.
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