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Il manque de la jurisprudence administrative dans Legifrance

Eh bien oui il manque des arrêts dans Legifrance. Des décisions du Conseil d’Etat lui-même et des cours administratives d’appel. Voire des tribunaux administratifs semble t’il.

On va sur l’interface experte de la Jurisprudence administrative de Legifrance. On coche les cases "décisions ne figurant pas au Recueil Lebon" pour le Conseil d’Etat (CE), les cours administratives d’appel (CAA) et les tribunaux administratifs (TA) et on fixe la période du 1er janvier au 31 décembre d’une année, en faisant ça sur 2006, puis 2007, 2008 et enfin 2009. On lance la recherche pour chaque année.

Voici ce que ça donnait le 12 juillet 2010 sur Legifrance :

  • 2006 : 15826 documents, dont :
    • CE 2795 [1]
    • CAA 13031
    • TA 0
  • 2007 : 13620, dont :
    • CE 2372
    • CAA 11248
    • TA 0
  • 2008 : 15364, dont :
    • CE 2508
    • CAA 12855
    • TA 1
  • 2009 : 13672, dont :
    • CE 2612
    • CAA 11013
    • TA 47.

Lamyline est un bon élément de comparaison car Wolters Kluwer France se fournit directement à la source. La filiale française du groupe d’édition juridique néerlandais se fournit en effet chez le Conseil d’Etat. La preuve : aucun de ses arrêts de CE ne porte les abstracts et résumés rédigés par le Conseil d’Etat pour ses arrêts, version délivrée à Legifrance. Avec la même requête, Lamyline donne ce même 12 juillet :

  • 2006 : 21 674 documents, dont :
    • CE 3522
    • CAA 18098
    • TAA 54
  • 2007 : 20047, dont :
    • CE 3200
    • CAA 16730
    • TA 117
  • 2008 : 21243, dont :
    • CE 3303
    • CAA 17831
    • TA 109
  • 2009 : 22403 dont :
    • CE 3512
    • CAA 18820
    • TA 71.

Prenons juste la dernière année terminée, 2009 :

  • arrêts CE manquants sur Legifrance par rapport à Lamyline : 900 soit 25%
  • arrêts CAA manquants sur Legifrance : 7807 soit 41%.

Le Conseil d’Etat transmet il tous ses inédits, autrement dit l’intégralité de sa base DCE (Décisions du Conseil d’Etat) ? Cette base fait partie de la base plus globale Ariane qui comprend également le fonds AJCE (Analyses du Conseil d’Etat). Un extrait de l’intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, dans le cadre de la Conférence nationale des présidents des juridictions administratives, à Bordeaux le 10 septembre 2010, peut éclairer le contexte : La justice administrative à l’aube de la décennie 2010 : quels enjeux ? Quels défis ? [2] :

« Cette nécessaire diffusion de la jurisprudence sera en outre prolongée par le projet "Ariane intégrale", qui est le nom choisi pour la constitution d’une base de données exhaustive des décisions de la juridiction administrative. Elle sera forgée à partir des fonds et des processus de versement existants d’Ariane Archives, base que les juridictions alimentent déjà régulièrement, quoique de façon très inégale, et que tous les magistrats utilisent abondamment. L’intégralité de cette base, qui répond à une demande très forte des spécialistes du droit public et des éditeurs, sera offerte à la réutilisation, sous condition de souscription d’une licence de réutilisation, dans les conditions prévues par la loi du 17 juillet 1978. Mais elle n’aura de sens et d’intérêt qu’à la condition d’être vraiment exhaustive et alimentée en temps réel : son succès dépendra donc de l’implication de toutes les juridictions dans ce projet, destiné à aboutir en janvier 2012. »

Legifrance [3] peut il obtenir la licence Ariane intégrale ? Sur un plan juridique, pas sûr, mais ça semble pouvoir se discuter.

La licence n’est pas disponible parmi les licences Legifrance. En effet, selon le site Legifrance, « en vertu du décret n°2002-1064 du 7 août 2002, le service public de la diffusion du droit par internet (SPDDI) a pour objet de mettre gratuitement à la disposition des internautes, sur le site Légifrance, les données *essentielles* [donc pas les non essentielles, a contrario] des normes juridiques et de la jurisprudence françaises ». Ce qui a priori participe largement à expliquer les résultats du test supra.

Certes, l’article 1er du décret de 2002 dit :

« Ce service [le SPDDI] a pour objet de faciliter l’accès du public aux textes en vigueur ainsi qu’à la jurisprudence.
Il met gratuitement à la disposition du public les données suivantes :
[...]
3° La jurisprudence :
a) Les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et du tribunal des conflits ;
b) Ceux des arrêts et jugements rendus par la Cour des comptes et les autres juridictions administratives, judiciaires et financières qui ont été sélectionnés selon les modalités propres à chaque ordre de juridiction [...] »

Mais d’une part, la philosophie d’origine du SPDDI était les données essentielles, d’autre part, le décret ne parle jamais de l’exhaustivité des décisions de justice mais d’abord de jurisprudence — ce qui indique selon son sens traditionnel une sélection des décisions les plus importantes.

Cette interprétation restrictive peut être est discutée. Le sens sélectif de "jurisprudence" n’est pas son sens le plus récent. Il suffit pour cela de lire la définition qu’en donne Serge Braudo, magistrat honoraire de la Cour d’appel de Versailles, dans son Dictionnaire de droit privé en ligne : « On applique actuellement le terme de "jurisprudence" à l’ensemble [nous soulignons] des arrêts et des jugements qu’ont rendu les Cours et les Tribunaux pour la solution d’une situation juridique donnée. »

En tout cas, si vous n’êtes pas abonné à une plateforme payante, il vous manque environ chaque année un tiers des arrêts inédits des juridictions administratives qui comptent (CE, CAA).

Quant aux jugements des TA, il me semble que chaque année, il y en a quand même un certain nombre cités au Recueil Lebon, non ? Pourtant, c’est comme si, en 2006 et 2007, il n’y en avait eu aucun. En tout cas selon Legifrance.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique qui s’y connaît un peu en JP de droit public sans être un expert, alors les commentaires sont bienvenus

Notes

[1En fait, lorsqu’on interroge ainsi, en 2006, Legifrance, on obtient d’abord une liste de résultats ainsi formulée : Conseil d’Etat 2319, Conseil d’État 476. Les 476 ne sont pas des TA mais des CE, simplement notés "Conseil d’État" avec un accent sur le E majuscule. Lors de ma première interrogation avec ces critères, incluant la Cour de discipline budgétaire et financière, j’avais d’ailleurs obtenu notamment ceci : "caa 4" :-)

[2Les gras sont de nous.

[3Autrement dit la DILA (ex-DJO) et le SGG.