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Henri IV est une marque ou la réutilisation des données publiques
Compte-rendu du colloque "Sécurité et Liberté : un nouvel équilibre pour les données personnelles et publiques sur internet ?", Panthéon-Sorbonne, 25 septembre 2009

« Henri IV est une marque — nous l’avons dit à son proviseur — parce qu’il a une notoriété considérable » : ainsi s’exprimait M. Errera, de l’APIE, lors du colloque Sécurité et Liberté : un nouvel équilibre pour les données personnelles et publiques sur internet ? [1], organisé le 25 septembre 2009 par les étudiants du Master 2 Pro de droit public de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, notamment Rebecca Théry.

Son intervention est extrêmement intéressante et explicite beaucoup de choses qui sous-tendent la réutilisation des données publiques en France. Autrement dit, elle traite de leur régime économique.

« Personne ne parlait à Thierry Breton [à l’époque ministre des Finances] de valoriser ce qui était le potentiel de l’Etat, c’est-à-dire d’en tirer un bénéfice, au-delà du service déjà rendu. [...] C’est une vision d’un homme d’entreprise portée sur l’administration. [...]

Nous sommes dans un mouvement de fond, que la France accompagne et accompagne volontiers, mais dont elle n’a pas la possibilité de s’affranchir. Notre premier souci sur les informations publiques a été de faire prendre conscience à l’ensemble des administrations de l’existence du droit de réutilisation. [...]

Nous avons commencé à aborder les sujets de tarification, qui sont des sujets extrêmement difficiles, à aborder avec beaucoup de précaution. [...] Ca veut dire qu’il faut prendre des précautions. Notre rôle n’est pas de concurrencer des opérateurs privés. Si nous intervenons sur des domaines concurrentiels, nous devons le faire au prix du marché [2]. [...]

Nous avons négligé beaucoup de sources de valeur dans le public. [...] Nous avons recruté des spécialistes de marketing, des spécialistes de la vente sur Internet. Nous avons parmi nous des anciens chefs d’entreprise qui faisaient de la vente sur Internet. Parce que ce ne sont pas les fonctionnaires qui connaissent ce sujet-là. [...]

[Le décret n° 2009-157 du 10 février 2009 pris par l’APIE : ] Nous disons : chaque fois qu’une administration prend des initiatives qui lui rapportent de l’argent, cet argent n’est pas versé au budget général de l’Etat. Il est reversé à cet administration-là [...], c’est à dire que, en quelque sorte, il y a un retour sur investissement. [...] Surtout, ça permet de moderniser des systèmes sans lesquels l’Etat ne pourrait pas progresser. [Exemple de la Cour de cassation qui finance l’anonymisation des arrêts avec les redevances d’achat de ces mêmes arrêts.] Donc, le seul respect de la loi nécessite des ressources supplémentaires, ça a un coût, et pour financer ce coût, il faut bien trouver la ressource quelque part. [...]

Nous ne considérons pas que les entreprises sont des ressources à exploiter. Nous considérons que ce sont des partenaires, qu’elles donnent du sens à notre démarche et nous sommes à leur écoute pour répondre à leur demande. »

M. Lerendu, secrétaire général de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), a également donné une intervention lumineuse sur le régime juridique de la réutilisation des données publiques : La réutilisation des informations publiques : Un cadre juridique ambigu ?.

A noter aussi les interventions suivantes :

  • Les fichiers de police / Me Bensoussan-Brulé
  • la responsabilité des acteurs du Web 2.0, notamment des hébergeurs (LCEN ...) / Nicolas Poirier, responsable juridique, OverBlog
  • les interventions des éditeurs juridiques : Michèle Côme pour Wolters Kluwer, Denis Berthault pour LexisNexis
  • l’intervention de Jean Gasnault (directeur de la documentation, Gide Loyrette Nouel, président de Juriconnexion)
  • votre serviteur sur les données publiques juridiques et l’intérêt pour les administrations et les collectivités à la fois de diffuser gratuitement sur Internet celles de leurs données utiles aux grand public (citoyens, associations, syndicats ...) et de vendre ces mêmes données aux "réutilisateurs" (éditeurs, professionnels ...). Ces derniers n’y perdront pas, car leur expertise, l’enrichissement, la valeur ajoutée, le moteur de recherche et l’ergonomie de leurs interfaces "doperont" leurs bases de données et transformeront ces mêmes données.

Assistant à ce colloque, Denis Berthault (LexisNexis) fit remarquer qu’il y avait encore beaucoup à faire sur le sujet en France et que les producteurs publics comme l’industrie de l’information allaient avoir besoin d’une race de professionnels encore très, très rare : des vendeurs et acheteurs de données publiques, dotés de connaissances tant en commerce, gestion et marketing qu’en droit (droit administratif, des données publiques, des contrats et de la propriété intellectuelle). Les "slides" de sa présentation à la Journée d’information et d’échanges sur la réutilisation des données publiques du 11 février 2010 [3] résument assez bien son approche.

Charles Nepote (Fing) n’était pas à ce colloque, mais il aurait été intéressant pour le débat qu’il y fut. Il liste en effet sur le blog de Réutilisation des données publiques les interrogations de très nombreux acteurs français sur cette réutilisation. Il en liste six. Elles peuvent paraître un peu exagérées et ne voir qu’une seule facette du nouveau régime de disponibilité des données publiques. Toutefois, je me demande si C. Nepote ne pourrait pas rajouter deux soucis à sa liste :

  • le risque d’appropriation de facto de ces données par le secteur privé. Avec la RGPP, le secteur public peut in fine avoir intérêt à non seulement vendre des licences sur ces données mais également à ne pas faire concurrence à ses licenciés ... Les données publiques ne seraient alors plus accessibles ni gratuitement ni librement. Les utilisateurs de taille correcte ne seraient pas gênés, au contraire, puisqu’ils utilisent les bases de données privées et en ont les moyens. Pour les autres (associations, particuliers ...), rien n’est moins sûr
  • vendre les données publiques signifie que les acteurs privés les plus riches en achèteront le plus. Dès lors, sachant que les utilisateurs plébiscitent les plateformes les plus riches en contenu, quelle véritable concurrence sera possible entre acteurs privés ?

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, acheteur de données juridiques — souvent d’origine publique