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La simplification du droit et le renforcement des pouvoirs du Premier ministre sur les ministères ...

Gel de la réglementation et fin des longues circulaires ?
... devraient (normalement) avoir des influences sur la production normative des ministères

Dans le cadre de leur longue lutte contre l’inflation normative, les services du Premier ministre viennent de tirer deux nouvelles (et probablement pas dernières) salves. Celles-ci, essentiellement, rappellent et étendent des circulaires déjà prises sous le Gouvernement Fillon. On note tout de même une ou deux vraies nouveautés, notamment sur les circulaires.

Le rapport Lambert / Boulard a aussi été un catalyseur de la réponse actuelle du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) [1]. On y retrouve la plupart des critiques relevées, et des réponses proposées par les différents CIMAP.

Notez bien que les circulaires devraient désormais se scinder en deux parties : une instruction (le nouveau nom de la circulaire) de moins de 5 pages + des précisions/actualités sur le site du ministère.

Ce qui se dégage aussi, implicitement, ce sont les rôles devenus clés du guide de légistique et de l’intranet central de l’Administration Extraqual.

« Gel de la réglementation »

Pas de nouvelle réglementation sans simplification équivalente : la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation prévoit un « gel de la réglementation » à compter du 1er septembre 2013 selon le principe « une norme créée, une norme supprimée ou allégée ».

Comme l’introduction de la circulaire le dit elle-même, elle fixe une « ambitieuse politique de simplification normative. Une ambition qui ne date pas d’hier — la circulaire le reconnaît implicitement puisqu’elle abroge et remplace une autre circulaire de 2006, voir aussi nos billets sur le sujet [2] —, aussi peut-on demander à voir avant de croire.

Cette ambition exprimée à nouveau et semble t-il renouvelée « porte aussi bien sur le flux des textes en préparation, que sur le "stock" des normes applicables. Elle s’appuie sur des méthodes de consultation participatives. » NB : il existe déjà de nombreux sites ministériels présentant les textes en préparation et permettant aux internautes de les commenter.

« Les projets de textes réglementaires font d’ores et déjà l’objet d’une évaluation préalable destinée à apprécier leur impact sur les collectivités territoriales et les entreprises. En outre, un moratoire est appliqué aux textes imposant aux collectivités territoriales des contraintes qui ne trouvent pas leur origine dans une norme supérieure. Enfin, l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles concernant les entreprises est programmée à des dates connues d’avance. »

Pour renforcer l’efficacité de ce dispositif et conformément aux décisions prises lors des comités interministériels pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2012 et du 2 avril 2013, les mesures suivantes seront mises en application à compter du 1er septembre 2013 :

  • Gel de la réglementation : « Les réglementations nouvelles (hors textes de transposition ou d’application de la loi, commandés par une règle supérieure) feront l’objet d’un moratoire. Ainsi, un projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour les collectivités territoriales, les entreprises ou le public ne pourra être adopté que s’il s’accompagne, à titre de "gage", d’une simplification équivalente.
    Ce gel se substitue au moratoire des textes applicables aux collectivités territoriales qui résultait de la circulaire du 6 juillet 2010. » NB : les collectivités territoriales, justement, peuvent elles aussi prendre des textes (sans parler de leur budget) de leur propre compétence — textes publiés aux RAA.
  • Plus de contrôle des services du Premier ministre sur les projets de textes : « L’évaluation préalable des projets de textes réglementaires concernera désormais l’ensemble des textes applicables aux collectivités territoriales, aux entreprises ainsi qu’au public (particuliers, associations) [NB : et non plus les seules collectivités et entreprises]. Ne seront pas concernés les textes uniquement applicables aux administrations de l’Etat (textes d’organisation des services, dispositions à caractère budgétaire ou financier, règles applicables aux seuls agents de l’Etat). »
    « Cette évaluation fera l’objet d’une fiche d’impact synthétique unique, prenant en compte les impacts pour l’ensemble des destinataires du texte. Celle-ci vérifiera la mise en œuvre des bonnes pratiques de réglementation conformément aux engagements pris par le CIMAP du 2 avril 2013 :
    • ne pas "sur-transposer" les directives communautaires : toute règle plus exigeante imposée par la France devra être expressément justifiée et validée. » NB : voilà qui sera difficile si la transposition est celle d’une directive et doit donc passer entre les mains des parlementaires ...
    • « appliquer le principe de proportionnalité : la rédaction des textes devra laisser des marges de manœuvre pour la mise en œuvre ou prévoir des modalités d’adaptation aux situations particulières ». NB : là aussi , même problème avec les députés et sénateurs, qui de par la Constitution et le principe de séparation des pouvoirs ont le droit de déposer des propositions de loi [3] et d’amender les projets de loi déposés par le Gouvernement, au point de parfois détourner ces derniers de leurs objectifs initiaux ou de les rendre quasi-inopérants [4]. Seul un contrôle renforcé de la majorité par ses dirigeants peut répondre à ce problème. Or ce contrôle est déjà, traditionnellement, fort sous la Ve République ...
    • « renforcer la sécurité juridique : de manière désormais systématique, les textes applicables aux entreprises entreront en vigueur à des dates communes (1er janvier/1er avril/1er juillet/1er octobre) et, pour l’ensemble des textes, un différé minimum devra être laissé afin de permettre à leurs destinataires de s’adapter aux règles nouvelles. » NB : bien qu’officiellement préconisée sous le gouvernement Fillon, cette mesure n’était pas vraiment systématique jusqu’ici.
  • « Les études d’impact (notamment financier) des projets de textes réglementaires seront rendues publiques au moment de la publication du texte. Elles pourront également l’être au moment de la mise en ligne des projets de textes soumis à consultation ouverte sur internet.
    Par ailleurs, le coût des normes, qui fera l’objet d’un suivi par ministère pour l’application du moratoire de la réglementation, sera également rendu public tous les six mois ; un premier bilan en sera fait au 1er janvier 2014. »

Les circulaires

Fini les longues circulaires, place aux courtes instructions avec renvoi pour les détails aux intranets/sites web des ministères : c’est du moins ce que dit l’autre circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à la simplification administrative et au protocole des relations avec les services déconcentrés.

  • On ne parlera plus de circulaires mais d’instructions et « le volume de chacune de ces instructions ne devra pas excéder cinq pages ». Les précisions techniques ou méthodologiques nécessaires à la mise en œuvre d’un texte ou d’une politique devront désormais passer par les intranets.
  • La circulaire encourage le « recours à des modes de relations fondés sur l’interactivité, par exemple sous forme de "questions-réponses" (FAQ) ou de forums d’échanges, ou encore de plates-formes collaboratives réunissant experts des administrations centrales et des services déconcentrés ». NB : tout ceci sur intranet, donc non disponible aux particuliers et entreprises ; aux éditeurs aussi ?
  • « Chaque ministère doit veiller à proposer sur son site internet un service d’informations actualisées et indexées pour les moteurs de recherche. Ces informations seront notamment alimentées par les ressources des outils intranet. »

NB : Si l’intention semble louable [5], on ne peut s’empêcher, a priori, de faire part ici de deux problèmes à venir :

  • la part exacte des détails d’application de l’instruction qui seront extraits des intranets ministériels pour être postée sur les sites web de ces mêmes ministères n’est pas clairement définie par cette circulaire
  • si la totalité n’est pas reproduite ou si elle est difficile à chercher par les moteurs de recherche, cela promet de belles parties de relations publiques pour les éditeurs et de recherche pour les documentalistes et les juristes ...

Justement, la partie commence déjà : la première circulaire citée supra relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation précise que « le nouveau modèle d’étude d’impact [des projets de textes réglementaires] est publié sur le site Extraqual (http://extraqual.pm.ader.gouv.fr) ». Le dit "site" Extraqual est en fait une partie de l’intranet interministériel AdER (Administration en réseau) lancé en 2000. Il n’est pas doté d’un accès par mot de passe : il faut être à l’intérieur du réseau de l’Administration pour y avoir accès. Il est géré par le Secrétariat général du Gouvermenent (SGDG).

Emmanuel Barthe
documentaliste veillleur juridique

Notes

[1La MAP est la nouvelle version de l’ex-RGPP (Révision générale des politiques publiques), autrement dit une réforme de l’Etat qui inclut de nombreuses simplifications, rationalisations, mise en ligne (sites web et procédures en ligne, mais aussi intranets), redéploiements et restructurations des actions et des acteurs publics.
Au sein de la MAP, il y a le choc de simplification demandé par le Président de la République. Le comité interministériel pour la modernisation de l’administration publique (CIMAP) du 17 juillet 2013 a donc décidé un programme transversal et pluriannuel de simplification des démarches administratives et des normes législatives et réglementaires. On peut retrouver toutes les mesures prévues par le "choc de simplification", inspirées entre autres mais pas seulement (entreprises, des administrations centrales, des préfets, des services déconcentrés et des agents publics auraient remis plus de 900 propositions de simplification) du rapport Lambert / Boulard et suivre leur état d’avancement sur le site Simplifier simplification.modernisation.gouv.fr Selon la page de présentation du site Simplifier, « au total, le programme comprend plus de 200 mesures dont 142 mesures nouvelles et 59 chantiers en cours ».

[3Même si souvent celles qui ont des chances sérieuses d’être adoptées ont de facto été "autorisées" voire "inspirées" par le Gouvernement.

[4A noter d’ailleurs que le Sénat et l’Assemblée ont chacun leur propre guide de légistique, qui ne concernent de fait que 0,3 % des textes publiés chaque année (100 lois pour 30000 textes).

[5On a ici et ailleurs assez dénoncé l’inflation législative et réglementaire, jusque dans un célèbre rapport du Conseil d’Etat, et ses conséquences. Mais les causes d’un tel phénomène (complexité de nos sociétés mêmes, lobbyings alternés, "communication" gouvernementale dans un contexte de tyrannie du court terme ...) n’ont pas pour autant disparu ... Lire notre article mise à jour : L’"insécurité législative" : causes, effets et parades.