Appuyez sur Entrée pour voir vos résultats ou Echap pour annuler.

Fabien Waechter ou le précurseur des legal tech
Un éditeur nous a quitté

Le président fondateur de l’éditeur juridique Lexbase, Fabien Waechter (CV LinkedIn), est décédé d’un accident dimanche 25 septembre 2022 à 50 ans.

Un éditeur "tech"

Fabien Waechter a été un acteur majeur de l’informatique juridique [1] mais aussi de l’édition juridique françaises. Lexbase, qui est largement sa création, fut de facto la première legal tech et le premier acteur à contester le quasi-oligopole des éditeurs juridiques français. Quelques posts de ce blog pour l’illustrer :

Côté "business model", c’est lui qui a insisté pour lancer les "channels" Lexbase, ces collaborations entre l’éditeur et les barreaux de province (dont celui de Versailles) où Lexbase est mis à disposition gratuitement des avocats de province. Lexbase fut ainsi le précurseur des abonnements collectifs. Dalloz a essayé de reproduire ce modèle, avec moins de succès.

Côté tech, « FW » fut moteur dans l’édition juridique. Ainsi, il a participé à des hackathons organisés avec les étudiants du Master 2 Droit du Numérique de l’Université Paris X Nanterre. Lexbase a implémenté des techniques d’IA. Du machine learning est apparu en 2021 dans le moteur de recherche de la plateforme standard Lexbase : c’est la synonymie automatique à laquelle Lexbase procède pour interpréter et "améliorer" la requête. Déjà en 2020, Lexbase avait implémenté le "NLP à la sauce ML" pour procéder à la pseudonymisation et au découpage des décisions [2].

Il était un acteur engagé de la francophonie et de la diffusion du droit continental. Le lancement de Lexbase Afrique, réalisée en partenariat avec Droit Afrique, en janvier 2019 le prouve. L’avocat Henri Paul le qualifie de « visionnaire et [de] combattant de l’accès au droit ».

Etait-il un éditeur ? Lexbase n’est pas membre du Syndicat national de l’édition (SNE), apparemment parce qu’il faut éditer des livres pour en faire partie. Pour autant, Lexbase publie depuis l’origine des bases thématiques, certes moins développées que les ouvrages à mise à jour des grands éditeurs juridiques. Et depuis que le numérique domine, la différence devient si minime que j’aurais tendance à dire que oui, FW fut non seulement un créateur de legal tech mais aussi un éditeur.

Jouer collectif

Fabien Waechter a beaucoup milité pour les activités inter-associatives, comme les Journées européennes d’informatique juridique. Il aimait créer des communautés et faire travailler les gens ensemble.

Comme l’écrit mon collègue documentaliste juridique Benoît Bréard :

« Il reconnaissait l’importance du rôle des documentalistes / bibliothécaires juridiques, avec qui les contacts toujours été excellents. Il nous écoutait toujours et souvent nous entendait. »

Si Lexbase a repris le Doctrinal, il n’y est probablement pas pour rien [3].

Son père était magistrat de cour d’appel. Selon Jean Gasnault (La Loi des Ours [4]), il était probablement le seul éditeur à connaître personnellement la moitié des bâtonniers. Le 26 au soir, sur Facebook, une bonne partie de la legal tech et du Barreau de Paris ont défilé pour lui rendre hommage. Un autre hommage lui a été rendu le 27 septembre lors de la séance du Conseil de l’Ordre de Paris.

Président des éditions Lexbase depuis 2008, il fut président de l’Association pour le développement de l’information juridique (ADIJ) de 2016 à début 2022 [5]. Il fut aussi juge consulaire au tribunal de commerce de Bobigny de 2018 à 2022.

C’était aussi un "vélotaffeur", un adepte du vélo comme moyen de transport par défaut pour aller au travail. Stéphane Cottin se souvient « de son bizarre vélo pliant qu’il emmenait partout, y compris dans les lieux les plus improbables pour des réunions au plus haut niveau, à l’Assemblée, au Sénat, à Matignon ou à la Cour de cassation. »

Formation

Titulaire d’une maîtrise en droit public et d’un diplôme universitaire en droit communautaire de l’Université de Bordeaux IV, Fabien Waechter obtient en 1992 le diplôme de juriste européen de l’université de Hambourg, puis un diplôme de troisième cycle en droit public. Il avait validé une formation à la médiation auprès du Centre de médiation et d’arbitrage de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CMAP) en 2010.

Au caractère

Denis Berthault le décrit ainsi :

« Il y avait un côté d’Artagnan chez lui, toujours prêt à pourfendre l’adversaire. C’était un geyser explosif !
Ses anecdotes de collectes de la jurisprudence africaine auraient méritées une compilation, tant elles étaient exotiques, originales et savoureuses. Comment ne pas avoir de l’admiration pour un gars qui prend son bâton de pèlerin pour créer de toutes pièces une base de jurisprudence africaine francophone (mais pas que) sans équivalent ? Et avec son seul courage, sa seule opiniâtreté, son seul dynamisme comme uniques compagnons. Quel aventurier, quel défricheur ! »

Et Jean Gasnault :

« Il ne se décourageait jamais. Il n’a jamais dit "on abandonne". » Autre façon de le dire, celle d’Arnaud Dumourier (Le Monde du Droit / Décideurs TV), « Fabien était un innovateur ». Ou Julien Lalanne, ex-commercial de Lexbase : c’est le gars qui « [disait] toujours de croire en la vie. » Ou encore l’avocate Sophie Savaïdes : « Son dynamisme était communicatif et son audace ôtait tous les doutes. Tout était possible avec lui. »

On ne compte plus les services qu’il a rendu à « un paquet de gens ».

Fabien Waechter ou le grand râleur ébouriffé quasi permanent ...

Bye, guy !

Notes

[1Les deux premières générations de l’informatique juridique française ont déjà hélas l’âge de des premières nécrologies. Fabien Waechter est parti après Pierre Catala, Lucien Mehl, Jean-Paul Buffelan-Lanore, Henriette Mehl-Mignot et Martine Degusseau. Sur les trois premiers, voir notre (long) article Intelligence artificielle en droit : derrière la "hype", la réalité. A propos de la dernière, voir l’hommage que lui ont rendu Jean Gasnault et Denis Berthault : Hommage à Martine Degusseau.

[3L’année dernière, c’était Catherine Bernard, la commerciale du Doctrinal, qui disparaissait brutalement.

[4Consultant, ancien directeur de la documentation du cabinet Gide Loyrette Nouel.

[5Il en fut le vice-président de 2013 à 2016