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La base LEGI ne semble pas légitime aux yeux de l’éditeur

Consolidation des textes officiels : le responsable de la rédaction Législation de LexisNexis critique le travail de Legifrance
Les raisons de maintenir LEGI ne manquent pourtant pas

Les Dépêches JurisClasseur du 20 décembre 2006 signalent — en la résumant — la publication à la Semaine juridique édition Générale du 13 décembre 2006 d’une étude de Hervé Moysan sur "La consolidation des codes, lois, décrets : positions doctrinales d’éditeurs ou devoir de l’État ?" [1]. Extraits de la dépèche :

« L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi a-t-il un effet sur la nature de l’exercice de consolidation ? [...] Pour lui, [H. Moysan], la réponse est clairement négative : la consolidation ou mise à jour de la loi, exercice d’une complexité aussi grande que méconnue, est assurément une opération doctrinale. S’il faut déterminer des devoirs de l’État au regard de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, c’est vers d’autres domaines qu’il convient de s’orienter : d’une part, assurer un accès satisfaisant à la source faisant seule foi, le Journal officiel ; d’autre part et surtout, remédier aux graves défaillances du processus normatif français. »

Hervé Moysan est docteur en droit et directeur de la Rédaction Législation chez Lexis-Nexis. En clair : il est responsable de la consolidation des textes [2] chez LexisNexis France (LN SA), et à ce titre le rédacteur-en-chef du JurisClasseur Codes et lois et de l’onglet/base Législation de la plateforme en ligne LexisNexis-Juriclasseur (LN-JCl). LexisNexis est l’éditeur de la Semaine juridique et de la plateforme en ligne LN-JCl.

Critique de LEGI

La parution de cet article suit plusieurs mises à jour de la plateforme LN-JCl, qui a — avec retard sur les annonces — intégré en septembre 2005 la majeure partie (en fait tout sauf les années avant 1871) des textes consolidés présents dans le JCl Codes et lois et tout récemment (décembre 2006) le Code général des impôts (CGI) et le Livre des procédures fiscales (LPF). Ainsi, fin 2004, quand M. Moysan est intervenu sur le sujet de la consolidation au colloque Internet pour le droit (voir infra), LexisNexis n’avait pas grand’ chose à proposer face à LEGI.

La publication de cet article, surtout avec ses *nouvelles* notes de bas de page, dans une revue *de l’éditeur*, *deux ans après* la première parution, ainsi que la *sélection* de cet article dans les Dépèches du Jurisclasseur supposent une approbation de la rédaction-en-chef de la Semaine juridique. Surtout sur un sujet aussi polémique, dans l’édition juridique, que Legifrance. Tout cela ne peut qu’attirer l’attention. Cette publication suppose à mes yeux [3] que l’éditeur approuve la position d’un de ses cadres, pour faire l’explication et la promotion de sa base de données de textes officiels tenus à jour ... et la critique de celle de l’Etat (base LEGI sur Legifrance). On peut éventuellement aussi avancer qu’Hervé Moysan cherche à défendre son travail et son équipe au sein du groupe LexisNexis, face au faible coût *comparé* d’une licence Legifrance pour LEGI [4]. Et vu la qualité de son travail, il a raison.

Deux arguments explicites selon Hervé Moysan :

  • l’Etat ne produit pas des textes bien rédigés
  • « la consolidation ou mise à jour de la loi, exercice d’une complexité aussi grande que méconnue, est assurément une opération doctrinale ».
    On peut aussi voir un argument implicite à la la lecture des notes de bas de page 1, 8 et 19 (voir infra) : celui de contrefaçon et pratiques anticoncurrentielles.

H. Moysan laisse entendre que Legifrance fait mal son travail de consolidation et qu’il vaudrait mieux que l’Etat se cantonne à produire des textes de qualité. Je cite :

« S’il faut déterminer des devoirs de l’État au regard de l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, c’est vers d’autres domaines qu’il convient de s’orienter. [...] remédier aux graves défaillances du processus normatif français ».

Cela, entre parenthèses, reviendrait à ce que l’Etat laisse LexisNexis quasiment seul sur le marché du droit consolidé, puisque le seul autre véritable [5] consolidateur privé est EMCA (Marc Kieny) qui consolide des textes communautaires — et non français — en droit agricole et agro-alimentaire [6].

Cette critique et cet article même ne sont pas nouveaux : ce sont certaines notes de bas de pages qui le sont. Cet article n’est en fait que la reprise, comme l’explique la note de bas de page 1 de l’étude précitée publiée au JCP G 2006, de la communication d’Hervé Moysan donnée en novembre 2004 au colloque Internet pour le droit, et intitulée "La consolidation des codes, lois et décrets : positions doctrinales d’éditeurs ou devoir de l’Etat ? (objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi)" [7] :

« Cette contribution est la reprise d’une intervention prononcée le 4 novembre 2004, aux Sixièmes journées Internet pour le droit, qui se sont tenues à la Maison du barreau à Paris [...]. Les exemples cités sont à jour des textes parus au Journal officiel du 30 septembre 2004. Une partie d’entre eux étant désormais dépassés, ils ont été complétés de quelques références nouvelles. En effet, la mise à jour par les services de la direction des Journaux officiels, de la base de « Codes, lois et règlements consolidés » (dite aussi « Légi »), publiée sur Légifrance, reprend fréquemment, de fait, les analyses menées et les solutions élaborées par les Rédactions des éditeurs privés. »

On remarque aussi la note de bas de page 20 :

« La pratique de reprise par le service public des choix scientifiques et éditoriaux des éditeurs privés, évoquée en introduction, laisse d’ailleurs augurer de la pente sur laquelle seraient engagées la législation et la réglementation diffusées si Légifrance se trouvait en situation de monopole. »

Serait ce là une accusation de contrefaçon et pratiques anticoncurrentielles ? En effet, d’une part, ces notes de bas de page sont nouvelles par rapport à la communication de novembre 2004. D’autre part, si on suit le raisonnement de H. Moysan, la consolidation étant une *oeuvre* doctrinale, son équipe serait *auteur* (au sens de la propriété littéraire et artistique) des textes consolidés, et le devoir de l’Etat restant dans la production des textes (et non leur consolidation, opération à valeur ajoutée), celui-ci violerait le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. L’éditeur LexisNexis aurait ainsi plusieurs arguments juridiques tout prêts contre la politique de diffusion des données juridiques publiques de l’Etat, i.e. Legifrance.

Réponse aux arguments avancés par M. Moysan

Personnellement, j’apprécie beaucoup le travail de M. Moysan. Comme je le lui ai dit lors du colloque Internet pour le droit en novembre 2004, je ne suis pas forcément toujours d’accord avec lui mais je me battrais volontiers pour qu’il puisse continuer ce travail. Pour autant, j’estime que le maintien d’une diversité des sources de consolidation et d’une saine rivalité entre consolidateurs — comme, pour prendre une image, entre deux équipes de receherche universitaire — est essentiel pour la préservation de la qualité du droit français et la plus large diffusion possible de celui-ci [8].

Par ailleurs, les particuliers et les TPE, qui, selon l’adage, ne sont "pas censés ignorer la loi", ont, vu la complexité croissante du droit, un besoin aigü d’une consolidation en libre accès.

Sans compter que les textes mentionnés dans LEGI devraient logiquement voir leur nombre diminuer du fait de la codification qui abroge de plus en plus de textes. Que côté LexisNexis, le JCl Codes et lois reste très loin du degré de complétude de LEGI — la sélection des textes du Codes et lois est bien plus draconienne [9]. Et qu’il y a quelques années, LexisNexis avait mentionné avoir pris une licence Legifrance pour exploiter la base LEGI et compléter ainsi sa base incomplète : pourquoi alors prendre une licence de LEGI si cette base est si imparfaite ?

Côté droit d’auteur, à part les notes explicatives — que Legifrance ne reprend pas —, le travail de consolidation ne ressort pas, sauf erreur de ma part, du droit d’auteur. C’est une technique qui ne répond pas à l’exigence d’originalité requise en tant que critère de la propriété littéraire [10]. D’autant que la doctrine constante en droit d’auteur qui dit que les textes de
loi sont non susceptibles d’appropriation n’a jamais distingué entre droit brut et droit consolidé. Vouloir déclarer un droit d’appropriation sur la consolidation en une époque férue de transparence de l’Etat peut paraître à contre courant.

Enfin, il faut pas oublier que les Codes sont déjà, en eux-mêmes, des textes consolidés et que ces dernières années leur nombre s’est multiplié [11]. Si on attaquait l’Etat pour concurrence illicite, il faudrait lui interdire de produire des Codes.

Il semble que l’Etat considère que le service public a un devoir quant à la consolidation suite à la décision du Conseil Constitutionnel du 19 décembre 1999 fixant l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi comme un objectif à valeur constitutionnelle. L’Etat doit donc codifier et par voie de conséquence consolider d’une manière générale.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique s’exprimant à titre personnel

Notes

[1JCP G 2006, I, 196.

[2Rappel : consolider des textes officiels (loi, décret, ...) consiste à en faire des versions à jour.

[3Si approbation il n’y a pas, alors le directeur de la publication du JCP, qui est aussi le PDG de LexisNexis, n’est pas bien tenu au courant de ce que ses services peuvent écrire dans le registre polémique ...

[4Ce coût est très « faible » par comparaison avec le coût d’une équipe de "consolidateurs", puisque la licence pour le stock de LEGI coûte 4 707,99 euros pour le stock et 1 427,00 euros pour le flux annuel (estimé à 80 000 articles nouveaux ou modifiés).

[5Sauf erreur de ma part, Dalloz utilise la licence Legifrance et consolide lui-même à la marge.

[6Les textes consolidés d’EMCA sont disponibles en papier et en numérique. Marc Kieny est un ancien de l’ONIC et un expert en consolidation dans le domaine agricole, agro-alimentaire et douanier.

[7Communication originale publiée à la fois en ligne sur le site du colloque et aux Petites affiches du 29 septembre 2005.

[8Cf les conclusions de la réponse de l’association Capitant aux rapports "Doing business" publiés en 2004 et 2005 par la Banque mondiale : « Il convient ensuite, et surtout, de *défendre* [nous soulignons, car défendre implique qualité et diffusion] une autre vision du droit, qui privilégie sa dimension culturelle et en vante la diversité ». Cette réponse est également publiée en papier par la Société de Législation Comparée.

[9Précision utile : la base/onglet Législation de LN-JCl est certes plus complète que le Codes et lois, mais ces textes là viennent des bases JORF et LEGI, donc de la licence Legifrance. Cela dit, côté Legifrance, il manque toujours la consolidation des arrêtés (chez LN aussi ...), une catégorie de textes pourtant primordiale dans certains secteurs (comme la sécurité, par exemple : il faut s’en remettre à des sites spécialisés comme le preventionniste.com qui continue à mettre à jour l’arrêté de 1977 ...).

[10Certains m’objecteront la condamnation du contrefacteur du cédérom Conventions collectives des Editions législatives (affaire le Serveur administratif) : Cass. com. 28 septembre 2004 n° 00-21.982 Serveur administratif c/ Editions législatives et al. Mais d’une part, elle concerne le droit conventionnel (et non la législation et la réglementation) ; d’autre part, les personnes connaissant bien cette affaire savent qu’elle portait sur une contrefaçon quasi-totale, la reproduction d’indicateurs volontairement glissés dans les textes par les Editions législatives l’a montré.

[11Code monétaire et financier, Code du tourisme, Code du domaine public de l’Etat ...