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Caselex : un nouveau parmi les projets européens de bases de données juridiques

A côté d’EUR-Lex et des projets Nat-Lex, EULEX et LINE, à côté aussi d’OJ OnlinePlus et EU Competition Law Online (Ellis Publications), voici un nouveau : Caselex, en cours de réalisation, avec un questionnaire en ligne à remplir. Il ne vient pas de l’éditeur officiel communautaire (ex-EUR-OP), mais du secteur privé, avec le soutien de la DG INFOSOC.

Une future base des jurisprudences nationales d’application du droit communautaire

Selon leur site web :


« Un consortium d’éditeurs européens, d’organismes publics diffusant la jurisprudence et de centres de recherches juridiques se sont donné pour mission de développer un service Internet qui diffusera les décisions des juridictions des Etats européens (UE et AELE). Ce nouveau service rendra accessibles les décisions importantes des Etats européens qui sont désormais requises pour comprendre l’application par les Etats du droit européen (traités, directives, règlements, jurisprudence de la Cour de Justice). »

Caselex fournira :

  • « les décisions intégrales dans la langue d’origine
  • résumé et mots-clés avec traduction dans la langue de l’utilisateur
  • classification et index multilingues
  • la possibilité d’obtenir le jugement traduit en intégralité dans la langue de l’utilisateur. »

Un « service d’alerte sur les décisions nouvelles et importantes » est également envisagé.

Le contenu final exact et les services rendus seront fixés au terme des entretiens et de l’enquête (voir le questionnaire en ligne) que mènent actuellement les responsables du projet.

Leur site web (caselex.com) est encore un peu maigre, c’est normal vu la jeunesse du projet (6 mois d’âge).

L’idée est de constituer une base de données des jurisprudences nationales appliquant le droit communautaire, en commençant par deux domaines, la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence (deux domaines, incidemment, très communautaires et qui ont toujours particulièrement intéressés la DG INFOSOC, qui subventionne Caselex). Les décisions seraient collectées soit auprès des bases nationales gratuites en libre accès, soit en contactant les autorités/juridictions nationales.

L’accès sera très probablement payant (ils doivent encore choisir entre le paiement à la visualisation ("pay per view") et le forfait tout compris). Ils n’excluent pas de pouvoir décrocher un financement public, mais leur objectif est d’être financièrement indépendant. Les subventions actuelles leur permettent de tenir encore un an demi. Clairement, leur stratégie en termes de tarification sera cruciale, surtout vis-à-vis des structures petite et moyenne taille.

Phase exploratoire et questionnaire en ligne

En fait, d’après mes entretiens avec les gens de Zenc, le membre central du consortium, à l’origine du projet et chargé des enquêtes préparatoires, Caselex en est encore au stade de la conception : le projet n’est officiel que depuis le 1er janvier 2005 — ainsi que son financement. Ils ont proposé leur projet à la Commission en 2004 et elle l’a accepté. Ils sont actuellement (juin 2005) en train de finir la "phase exploratoire", phase qui comprend des entretiens et une enquête — menée par Zenc, donc — dans les Etats membres. Ils ont aussi listé les détenteurs publics de jurisprudence, les contenus, les conditions d’accès à ces contenus et leurs environnement technologiques.

Le questionnaire de l’enquête est disponible en ligne sur le site caselex.com. Si vous y répondez, vous pouvez gagner trois mois d’accès gratuit lorsque la base sera opérationnelle (1000 inscriptions gratuites de 3 mois à gagner).

Parmi les questions posées, celle du système de tarification et du niveau des tarifs : pour une fois qu’on demande leur avis sur ce sujet aux éventuels futurs clients et utilisateurs, voilà une démarche à saluer. D’autres questions permettent aux juristes et documentalistes de donner leur avis avec précision sur le contenu exact et les services envisagés.

Qui est derrière Caselex

Zenc est apparemment un de ces nombreux organismes de recherche et de conseil qui bénéficient — et vivent en grande partie, au moins lors de leur démarrage — des subventions des programmes de recherche et d’études européens. Le responsable technique du projet Caselex, Marc de Vries, est un néerlandais, ancien avocat en droit des sociétés puis généraliste, et ancien juriste à la Commission europénne pendant quatre ans, et il a déjà participé à un programme d’accès aux données juridiques européen qui concernait les Pays-Bas. C’est ainsi, explique t-il, qu’il a eu l’idée de ce projet.

Le consortium international derrière le projet regoupe une juridiction suprême nationale, des centres de recherche universitaires, des éditeurs publics et des petits éditeurs privés. On trouve par exemple, parmi les treize membres, la dynamique Cour de cassation belge, l’European Association of Judges (branche de l’International Association of Juges), la faculté de droit des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP), WorldWave International (société de transcription et filmage de jugements, basée à Londres ; rappel : beaucoup de jugements au Royaume-Uni, notamment en première instance, sont rendus uniquement par oral), l’éditeur juridique irlandais FirstLaw et la Direction des Journaux officiels française (DJO).

Les subventions du projet Caselex viennent en fait de la DG INFOSOC (Information society ou encore INFSO, qui cherche à promouvoir la société de l’information et le e-government). Caselex fait partie du programme eContent, devenu eContentplus (149 millions d’euros sur 2005-2008 ; des détails sur http://www.telecom.gouv.fr/econtent... et ftp://ftp.cordis.lu/pub/ist/docs/te...) et s’inscrit dans le droit fil de la directive sur la réutilisation des informations du secteur public.

Un projet ambitieux

Ce projet européen ne fait pas doublon — sauf peut-être en droit public des affaires et en droit de la concurrence, et encore — avec la base gratuite DEC.NAT montée par l’Association des Conseils d’Etat et des Juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne, elle aussi financée par l’UE et dont les données proviennent en fait de la Cour de Justice des Communautés européennes. DEC.NAT « contient quelque 18.000 références à des décisions nationales concernant le droit communautaire et couvre une période s’étendant de l’année 1959 à nos jours ». En fait, DEC.NAT est centrée sur le droit public/admistratif. Caselex, elle, se spécialisera sur le droit des affaires, au sens large du terme.

Certains se demanderont pourquoi un tel projet se fait sans l’éditeur officiel européen (l’Office des publications officielles de l’UE). Tout d’abord, l’OPOCE est bien occupé par le nouvel EUR-Lex et l’élargissement (traduction et mise en ligne du droit positif communautaire). Ensuite, son caractère payant ne peut pas l’inscrire dans le projet EUR-Lex. Il semble, enfin, que la Commission désire maintenir ce projet indépendant.

Caselex est un projet relativement ambitieux et pressé, puisqu’ils prévoient avoir une base en état de marche au premier trimestre 2006 et qu’aucun grand éditeur privé n’est derrière (aucun en tout cas dans le consortium). [Mise à jour au 14 avril 2006 : Caselex a présenté en décembre 2005 à la CCBE, le conseil des barreaux européens, un prototype. Selon leur communiqué, ils prévoient une mise en service commerciale pour janvier 2007.]

Visiblement, la Commission, à travers la directive sur la réutilisation des informations du secteur public [1], entend dégager un espace aux éditeurs privés et aux bases payantes pour des initiatives innovantes [2]. Une orientation à saluer.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique

Notes

[1Voir par exemple le titre donné par la DG INFOSOC à sa plaquette de présentation du projet Caselex : « By improving access to national case law across Europe, CASELEX is expected to have a major impact on the reuse of legal public sector information. »

[2Historiquement, la Commission a toujours été favorable à une gratuité assez large mais pas totale des données juridiques communautaires, dans la volonté de dynamiser l’édition privée en favorisant leur réutilisation par le secteur privé. La pression pour la gratuité totale est venue d’abord du Parlement européen, pas de l’éditeur officiel ni des DG. Ce penchant de la Commission explique en partie pourquoi la base Celex est restée longtemps payante.