Bibliothécaires, allez vers vos lecteurs
Documentalistes, allez vers vos utilisateurs
Une bibliothécaire en train de ranger des ouvrages de retour du prêt
Thomas Fourneux, sur son très riche blog Biblio Numericus, explique que « les bibliothèques [sous-entendu publiques : BM, BU etc.] ont accumulé depuis des années une dette technique en se concentrant sur la fourniture de ressources et de contenus numériques dissimulés derrière des remparts technologiques [...] Nous nous sommes habitués aux obstacles et à l’expérience utilisateur dégradée en se disant que de toute façon on ne pouvait pas concurrencer les plateformes commerciales [notamment de SVOD type Netflix ou Youtube] » [1].
Nous souffrons moins de ce décalage en bibliothèque/centre de documentation d’entreprise car nous sommes plus en prise directe avec nos exigeants "clients internes". Et parce qu’on les forme massivement à l’utilisation de Google voire Twitter. Mais nous restons vigilant (voir les actions de l’association Juriconnexion pour les bibliothécaires documentalistes juridiques).
Au-delà des raisons exposées par T. Fourneux, une autre raison de la dette technique des bibliothèques me semble résider dans le fait que les bibliothécaires ne vont que très rarement physiquement et numériquement au devant des lecteurs. La proactivité manque. Un lecteur qui déambule sans se fixer dans une salle de bibliothèque municipale (BM) [2], de bibliothèque universitaire (BU/SCD) [3] ... pourrait et devrait être rapidement abordé par un bibliothécaire : « Bonjour, vous trouvez ce que vous cherchez ? Vous avez besoin de quoi ? »
Je sais, ça ressemble à l’agaçant « Je peux vous aider ? » des commerçants. Mais c’est ainsi : les lecteurs sont nos "clients" et notre raison d’être professionnelle [4].
Je sais, ça prend du temps de répondre avec pertinence — et a fortiori avec exhaustivité — à une demande. Et les tâches de gestion de bibliothèque continuent à exister (enregistrement des prêts et retour, rangement des ouvrages, sélection et achat des acquisitions ...). Mais justement, de nombreuses tâches ont été automatisées, à commencer par le catalogage. Et les automates de prêt, aujourd’hui, ça peut aider. Tout cela ne dégage-t-il pas un peu de temps ? Et puis, si on pense priorités : qu’est-ce qui compte le plus ?
Tout cela me vient de ma nature communicationnelle ;-) certes, mais aussi d’un constat : communiquer et aller vers les lecteurs crée un triple bénéfice :
- les lecteurs voient leurs recherches et leurs souhaits de lecture mieux traités
- la bibliothèque/centre de documentation connaît mieux les besoins des lecteurs, ce qui permet des acquisitions dont les taux de prêt et de consultation (pour les ressources en ligne) s’améliorent, une meilleure disposition des collections et la création éventuelle de nouveaux services/prestations (logiciels, jeux vidéo, guides, tutoriels, veilles, ateliers, clubs de lecture ...)
- la réputation de la profession de bibliothécaire documentaliste et des bibliothèques/centres de documentation s’améliore [5]. C’est important, car, comme l’écrivait dès 2003 le documentaliste Laurent Bernat « Les documentalistes ont l’avenir devant eux, mais ... ils l’auront dans le dos chaque fois qu’ils feront demi-tour ! » [6].
J’ai appris cela dès mon tout premier stage, à la bibliothèque municipale de Poissy (devenue médiathèque) au début des années 90.
Le bibliothécaire (responsable de la BM) était presque toujours par monts et par vaux dans des activités de promotion de la lecture publique. Suite à certaines remarques de ma part, son adjointe, à qui il faisait confiance pour la gestion de la bibliothèque au quotidien, m’a poussé à faire un guide des collections de romans de science-fiction en papier, mentionnant les nouvelles acquisitions et réalisé avec une photocopieuse, le top de la technologie à l’époque.
Emmanuel Barthe
bibliothécaire documentaliste, veilleur, formateur
EBD 1993
La SF, des livres souvent rangés à part, dans leur section à eux : les lecteurs apprécient
Notes
[1] Les bibliothèques, leur dette technique et ses conséquences, par Thomas Fourmeux, Biblio Numericus, 2 juillet 2021.
[2] J’ai été stagiaire en BM. Voir en fin de ce billet.
[3] J’ai travaillé un an et demi en BU, à la Faculté Libre de droit d’Issy-les-Moulineaux (Université Catholique de Lille).
[4] Les bibliothécaires ne sont traditionnellement pas des "fans" de la relation commerciale, je le sais. Mais l’adaptation aux besoins du client est un point fort de celle-ci. Nous ne sommes pas obligés de reprendre tous les aspects de la relation commerciale, nous ne le pouvons pas, d’ailleurs, mais nous pouvons y choisir ce qui nous aide :-)
[5] Voir sur ce blog Le documentaliste juridique entre bibliothécaire et "knowledge worker" : une évolution et Documentaliste : un nouveau métier, de nouveaux noms.
[6] Les documentalistes ont l’avenir devant eux, mais... Ils l’auront dans le dos chaque fois qu’ils feront demi-tour !, par Laurent Bernat, Documentaliste-Sciences de l’Information, 2003/2 p. 142.
Commentaires
Aucun commentaire
Laisser un commentaire