Bernard Desolneux ou l’éditeur des documentalistes
La success story de Transactive, une coopération éditeur-documentalistes juridiques
Bernard Desolneux, à 72 ans, quitte la direction de l’Institut Droit & Croissance.
C’était probablement le dernier poste de cette figure bien connue de l’édition juridique française avant une (vraie) retraite méritée. Amateur de voile, propriétaire d’un voilier, président du Cercle Nautique de la Hougue : on peut supposer qu’il va en profiter :-)
Le Doctrinal et ses frères : un éditeur "geek" et des documentalistes innovants
Bernard Desolneux commence sa carrière chez Téléconsulte, filiale du Point, qui commercialise le Lexis français de l’époque. C’est Téléconsulte qui a scanné les Bulletins de la Cour de cassation et ses inédits et fait OCRiser le tout en Asie. C’est là qu’il se forme, en apprenant les subtilités des bases de données juridiques.
Puis, jusqu’en septembre 2015, Bernard Desolneux a été directeur général de l’éditeur juridique Transactive au sein du groupe Thomson Reuters. C’est lui qui a fondé Transactive, véritable legal tech avant l’heure.
Transactive, c’est une "success story" rare : celle de la base de données Doctrinal au début des années 90, alliance entre B. Desolneux, un éditeur qui sentait le vent comme peu et des bibliothécaires documentalistes dynamiques et geeks avant l’heure : Jean-Marc Elsholz (à l’époque responsable de la bibliothèque du cabinet Shearman & Sterling), Jean Gasnault (directeur de la documentation chez Gide Loyrette Nouel), Michèle Côme (responsable de la documentation, cabinet Berlioz & Associés) et Anny Maximin (directrice du Centre de recherches documentaires de la Bibliothèque Inter-Universitaire Cujas, Cerdoc). Tous membres de l’association Juriconnexion, évidemment.
Ce sont les documentalistes qui ont l’idée et réalisent le produit (ainsi que leurs bibliothécaires assistants) mais c’est Bernard (comme on l’appelle familèrement) qui le commercialise. La base de données Doctrinal est diffusée sur disquettes les premières années, puis sur cédérom. Aujourd’hui en ligne sous le nom de Doctrinal Plus.
C’est le chiffre d’affaires engendré par le Doctrinal qui va permettre à Bernard Desolneux de lancer d’autres bonnes idées en partie inspirées du Doctrinal : le cédérom Avisial (avis du Conseil des marchés financiers, CMF) puis Administral [1] et Mélangial (bases de droit administratif et de mélanges [2]).
Créateur de revues juridiques
Puis, dans un deuxième temps, de créer des revues juridiques :
- la Revue trimestrielle de droit financier (RTDF) — une concurrente bienvenue de la RDBF de LexisNexis et du Bulletin Joly Bourse de Lextenso
- puis reprise de la Revue de jurisprudence commerciale (RJCom, ex-Revue des avoués) après que son couple de gérants aient pris leur retraite [3]
- fondation de la revue Propriétés intellectuelles avec l’IRPI.
Il reste un bon moment à la tête de Transactive après son rachat par le groupe Thomson Reuters. Il fonde ensuite EBCL, un éditeur de revues juridiques là encore, reprenant le Bulletin juridique des collectivités locales (BJCL). Il attire dans son giron en 2017 une revue initialement libre, le Bulletin juridique de droit des assurances (BJDA, ex-Actuassurance) mais ne réussit pas à la garder [4]. EBCL est aujourd’hui dirigée par son fils Clément Desolneux mais semble elle aussi à la retraite.
Un bilan de son action
Si on devait tenter un bilan de son action, on pourrait dire que Bernard était un novateur et un allié (avec qui il a fallu aussi négocier, les auteurs du Doctrinal s’en souviennent ...) des documentalistes. Pour Jean Gasnault, « on ne pourra pas contester ni oublier qu’il a été le seul à cette époque à croire à ce projet collaboratif et à le transformer en réussite. Pour cette raison il a une place à part, avec son équipe et ce produit, dans l’écosystème du droit. »
Mais on peut aussi soutenir qu’il n’est pas allé au bout de sa logique novatrice [5].
Par exemple, introducteur en France d’un logiciel de saisie et recherche en texte intégral révolutionnaire, Folio Views, utile à la fois pour les éditeurs et les documentalistes, il ne cherchera pas à mieux l’implanter en France ou à en développer le concept.
De même, open access et interopérabilité, qui étaient la suite naturelle de sa position technologique avancée, n’ont pas fait partie de son action même si elles ont parfois fait partie de son vocabulaire.
Les bibliothécaires et documentalistes juridiques ne désespèrent pas qu’un éditeur ou une legal tech, à la fois geek, collaboratif et au moins en partie open, reprenne un jour ce flambeau.
Bernard Desolneux, son sourire et son compagnonnage inédit avec les documentalistes juridiques. So long and happy sailing, Bernard !
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, veilleur, formateur
Photo (C) Droit & Croissance
Notes
[1] Pour l’Administral, c’était une reprise par l’INRIA des bases de sciences administratives de Pascal et Francis avec le concours de l’IIAP et du Cersa.
[2] Le Mélangial, initialement prévu pour être réalisé par la BIU Cujas et Bernard Desolneux, sera repris et lancé en 2015 par la Bibliothèque de l’Ordre des avocats au barreau de Paris. Il est intégré au Doctrinal. Voir sur ce blog Les bases de données de mélanges en droit.
[3] Je les ai connus : ils étaient adorables et géraient ça comme une affaire familale à travers l’association Droit et commerce, toujours vivante.
[4] Le BJDA est aujourd’hui chez LexisNexis.
[5] A cet égard, si s’adosser à un grand groupe comme Thomson pouvait sembler logique et un gage de pérennité pour les produits, il n’en demeure pas moins que les années Thomson Reuters furent moins créatrices.
Commentaires
1 commentaire
Réponse à "Bernard Desolneux ou l’éditeur des documentalistes"
Emmanuel,
Voilà une heureuse surprise que ces lignes flatteuses (et trop flatteuses).
Il y a peu à ajouter à votre article sinon peut-être que les documentalistes juridiques, peu à peu constitués en une association vivace, ardente et parfois si rebelle qu’elle donnait du fil à retordre aux éditeurs de droit, formèrent une génération de spécialistes qui apportèrent un nouvel entendement à la connaissance du droit, et singulièrement au droit des affaires.
Ces experts de la foisonnante diversité des sources du droit introduisirent leur savante façon de naviguer dans un univers où il était facile de se perdre.
Rendons-leur le légitime hommage que méritent leur déterminante contribution à l’intelligence du droit et à cette heureuse initiative que fut le Doctrinal.
Bernard
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