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Vers une privatisation de l’édition publique ?

Activités de publication des administrations et respect des règles de concurrence avec les éditeurs privés
Une circulaire du Premier ministre

Une circulaire du Premier ministre du 29 mars 2012 demande aux membres du gouvernement d’accroître fortement l’efficience des activités de publication des administrations de l’État et insiste sur le respect des règles de concurrence.

Circulaire du 29 mars 2012 relative à l’efficience des activités de publication de l’Etat (JORF n° 79 du 1 avril 2012 page 5951 texte n° 1)

En résumé (rapide) :

  • la circulaire demande aux ministères des rapports chiffrés sur leurs activités de publication. Des recommandations du COEPIA seront diffusées suite à cela
  • le rôle de la DILA est remis en avant pour les publications interministérielles voire ministérielles mais le texte semble en même temps la "recadrer" sévèrement
  • la circulaire semble dire que les publications des ministères ne doivent pas perturber les activités économiques existantes et pas seulement les émergentes
  • le prix de vente au public ne doit pas être abusivement bas
  • une publication, même gratuite, peut être mieux assurée par un éditeur privé.

Cette façon de "taper" sur l’édition publique est absurde : l’édition publique fait bien peu concurrence au privé, elle qui ne publie pas grand’ chose d’autre d’intéressant que des sites web, des guides et des PDF (les Codes publiés par la DILA — ex-DJO — n’ont pas ni annotations ni commentaires ce qui les rend quasi-inutilisables).

Cela rappelle aussi les arguments anti-Legifrance : le privé ferait ça mieux et moins cher.

Ce dernier point peut se discuter, au vu de cette discussion sur la liste Juriconnexion : Legifrance à jour, pas les bases de données des éditeurs. Les intervenantes évoquent les besoin des juristes professionnels. On peut aussi parler des besoins des particuliers, associations, groupes d’intérêts, fédérations professionnelles etc. Certes, il est question là de données publiques juridiques et non de publications à proprement parler, mais la problématique est très similaire.

Et quand on connaît les coûts des bases de données juridiques privées, on peut aisément imaginer que des économies sur la DILA et Legifrance aboutiraient :

  • à augmenter de manière astronomique les coûts en documentation des administrations centrales
  • à quasiment dépouiller de documentation (d’abord juridique) les administrations déconcentrées et les magistrats des tribunaux. Ceux-ci dépendent en effet à 90% de Legifrance et des sites ministériels
  • à aller à l’encontre des objectifs affichés de défense et illustration du droit français puisque ce droit ne serait plus accessible en version à jour ni en jurisprudence. Dans la société et l’économie de l’information dans lesquelles nous vivons, un droit qui ne communique pas librement, qui n’est pas accessible, n’est pas un avantage.

Le professeur Koubi fait une interprétation plus tranchée de cette circulaire, parlant de « privatisation de l’édition publique » [1].

Infra reproduction de la partie qui nous intéresse le plus. Les gras et liens sont de nous.

« Annexe III - Respect des règles de concurrence

Lorsque les activités de publication de l’Etat, qu’elles soient gratuites ou payantes, entrent en concurrence directe avec des publications similaires du secteur privé ou ont vocation à être réutilisées à son initiative ou en collaboration avec lui, il convient de faire preuve d’une vigilance particulière quant aux risques de perturbation d’une activité économique existante ou émergente dans le secteur privé. L’édition doit être précédée d’une analyse du marché considéré.

1. Activités assurées par les éditeurs publics institutionnels

Les éditeurs publics institutionnels inscrivent leurs activités dans le cadre fixé par leurs textes d’attribution ainsi que par les circulaires précédemment citées. Ils doivent respecter les obligations de concurrence et de transparence comptable conformément à l’article L. 410-1 du code de commerce. Le prix de vente au public, qui ne doit pas être abusivement bas, couvre les coûts directs et une quote-part des frais de structure entraînés par l’activité de publication, conformément aux pratiques habituelles des entreprises privées. Les rémunérations exigées par une institution publique pour accéder à certaines données doivent être intégralement répercutées dans le prix de vente au public.
Les éditeurs publics institutionnels sont dotés d’une comptabilité analytique validée par leur tutelle ou des commissaires aux comptes. Ceux d’entre eux qui ne seraient pas dotés d’une comptabilité analytique certifiée ou validée par leur tutelle ne pourront publier sur le marché concurrentiel à compter du 1er janvier 2014.

2. Activités confiées aux éditeurs du secteur privé

Une publication ou copublication assurée par un éditeur privé peut s’avérer plus efficiente, moins coûteuse et mieux élaborée qu’une production interne ou simplement sous-traitée, même en cas de publication gratuite ou destinée à une diffusion interne. En effet, l’expérience marchande des éditeurs privés est un facteur d’efficience de la publication au regard des critères de cible, de support, de composition et de diffusion.
Les relations commerciales avec les professionnels privés ― copublication, contrat, appel à projet, sous-traitance, licence rémunérée de réutilisation ― supposent cependant une compétence particulière. Il convient de veiller au respect des règles relatives aux marchés publics et aux délégations de gestion et de service public. La prise en compte des coûts complets est impérative. La tarification est d’ailleurs complexe et emporte des conséquences sur la structuration de marchés. Seuls les éditeurs publics institutionnels, avec, éventuellement, l’appui méthodologique de l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (APTE), peuvent alors assurer la coopération avec les entreprises pour le compte des administrations qui le souhaitent.
Les difficultés qui apparaîtraient entre les administrations publiques et les entreprises privées dans la mise en œuvre des présentes dispositions pourront être signalées au COEPIA, qui m’en rendra compte. »