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Problèmes ... et solutions

A nos chers disparus
Support de l’intervention à la journée Juriconnexion du 26 janvier 2023 « Conservation et accès aux données juridiques »

Pourquoi sauvegarder le droit écrit ? Parce que le droit, au-delà de la puissance publique et des textes officiels qu’elle émet, c’est une construction intellectuelle (doctrine, jurisprudence [1]). Or les auteurs, aussi grands soient-ils, aussi discrets soient-ils, meurent un jour [2]. Seuls leurs écrits restent, c’est pourquoi il faut les préserver.

La version vidéo de cette communication est sur Youtube.

1. Publication officielles et sites web publics

Papier ET en ligne.

Un vieux problème : Le problème de la conservation des données publiques juridiques (2005).

AAI et autres commissions sont supprimées ou plus souvent fusionnées et les documents qu’elles ont publiés sur leurs sites soit ne sont pas repris par le nouveau site soit ne sont que partiellement repris. Soit encore, les archives papier des rapports, décisions et avis de l’organisme ne sont pas scannées et mises en ligne (alors que cela a été fait pour par exemple le BOCCRF et le BOI) alors que l’accès aux archives papier devient lent et difficile.

Sites des AAI : refontes et disparitions d’AAI. Voir Archivez les fonds juridiques publics — certains risquent de disparaître.

Les sites et surtout les rapports et autres publications de certains instituts et des commissions consultatives que le Gouvernement a supprimés, notamment par le décret du 18 décembre 2019. Notamment :

  • Institut national des hautes études de sécurité et de justice (INHESJ), une instance qui publiait des travaux de recherche dans le domaine de la sécurité et de la police. Au 3 octobre 2021, il semble que l’IHEMI (Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur) ait repris sur son site les publications de l’IHEDN, comme les Cahiers de la sécurité et de la justice. Mais tout ce qui avait été publié sur l’ancien site de l’INHESJ ? Pas sûr ...
  • Commission de déontologie de la fonction publique (CDFP). Elle donnait son avis sur les cas de "pantouflage" des hauts fonctionnaires. Elle est remplacée par - la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) à compter du 1er février 2020. En octobre 2022, on constate que si les rapports d’activité de la CDFP sont restés en ligne sur le site ministériel de la Fonction publique, ses avis sont perdus, [3]
  • les décisions de la HALDE ont disparu puis sont réapparues.

Les vieux BO papier (années 90 et avant). Voir Dématérialisation des bulletins et journaux officiels : le point dessus, et quelques inconvénients. Lamyline est la solution, là.

2. Les publications papier mais aussi en ligne des éditeurs

Là aussi, papier ET en ligne. On pourrait penser que les éditeurs ont tout en double. Non, seulement en partie.

Les versions anciennes des études des ouvrages à mise à jour (notamment les fascicules des JurisClasseurs) ne sont plus conservées — et depuis longtemps (années 90) — sauf dans les CRIDON. Or certaines ont gardé de la valeur en tant que telles, particulièrement les fascicules rédigés dans les années 50 à 80 par de grands professeurs de droit). On appelle donc les éditeurs, et particulièrement ceux publiant leur souvrages à mise à jour essentiellement sur feuillets mobiles (Dalloz, LexisNexis, Joly/Lextenso), à s’attaquer au problème [l’intervention d’Euphrate Kantouche de Lamy confirmera par la suite que les éditeurs juridiques français ont commencé à se préoccuper du problème].

Des ouvrages arrêtés, non continués — et alors souvent jetés par les structures. Exemple : Droit administratif général de Chapus, arrêté en 2001 (15e éd.).

1945-1990 : LE fossé = là où Gallica n’est pas.

Gallica : une sélection de revues jusqu’en 1948, mais pas après. Et des manques. Voir Gallica : revues juridiques, recueils de jurisprudence : les collections anciennes.

Absence de véritables permaliens face à des nouvelles versions de plateformes d’éditeurs juridiques tous les 7-8 ans en moyenne.

L’affaire de la Lettre Omnidroit : une newsletter juridique publiée en commun par les EFL et Dalloz n’a pas été archivée et a disparu corps et biens.

La revue Dossier Brevets avait été mise en ligne en totalité sur dossiers-brevets.info par le cabinet Véron, avec l’accord de la famille du professeur Jean-Marc Mousseron et du Centre du Droit de l’Entreprise (CDE), en accès libre et gratuit [4]. L’évolution du cabinet Véron a abouti à la mise hors ligne de cette collection [5].

Les retraits des plateformes des éditeurs (Lamy droit du sport) – ou non mises en ligne (revue Dalloz Affaires) : si on n’a pas gardé le papier ... [6]

Revues juridiques, notamment universitaires, en accès libres : peu de disparitions, mais des soucis à long terme [7].

3. Solutions : des pistes

Accéder aux BU, notamment Cujas. Mais délais car il faut aller sur place.

Remonter, en modifiant la législation du droit d’auteur, l’ex-service de fourniture à distance du CERDOC de Cujas, arrêté suite à une baisse de la demande mais surtout après l’affaireont été condamnés l’INIST et le CFC [8].

NB : les BU assurent sous la direction de la BIU Cujas le plan de conservation partagée (PCP) en droit.

Bien sûr, il y a Archive.org. Mais il n’archive pas les documents stockés dans des bases de données (URLs dynamiques), ne conserve pas les moteurs de recherche internes et n’archive pas tous les sites publics — et évidemment pas les plateformes payantes des éditeurs.

Aspirer les sites publics avec le logiciel open source et gratuit HTTrack. Pas de problème de droit d’auteur. Les difficultés : la taille globale d’un site dépasse facilement la centaine de Go, il faut donc sélectionner une rubrique ou des formats de fichiers (PDF surtout), puis nettoyer. Sans parler de la difficulté de faire accepter à l’équipe IT de conserver ce genre de ressource inhabituelle sur un serveur partagé.

Faire conserver par les GED (iManage etc. ; pour le numérique, y compris en scannant+OCR) et services d’archives (pour le papier) des structures (grands cabinets d’avocats d’affaires et directions juridiques des grands groupes).

Editeurs :

  • versioning des ouvrages (Lamyline => devrait inciter les EFL à faire de même)
  • arrêt d’une publication => archivage en ligne, quitte à le faire pas cher en PDF découpés, gérés de manière statique et sans moteur de recherche (recherche par référence)
  • fourniture d’une archive rétrospective au format numérique par l’éditeur, sur l’exemple d’ISTEX [9]
  • la production chez les éditeurs ne se fait plus par référence au papier. Les éditeurs doivent déterminer à quelles périodicités, pour quelles publications et dans quelles matières ils font une "photo" et la basculent en archive (cf intervention d’Euphrate Kantouche de Lamy).

Efforts de conservation papier des bibliothèques des ordres professionnels (exemple CRIDON, contre-exemple avocats)

Pousser à la relance de l’effort de numérisation sur Gallica sur quatre axes (préservation et diffusion du droit français + bon pour les historiens) :

  • monter un nouveau comité scientifique. L’ancien date d’il y a 20 ans
  • donner une place au droit des affaires
  • avant 1948 :
    • périodiques : ajouter les quelques revues manquantes + compléter (surtout) les fonds partiels (Gaz. Pal.)
    • monographies : vérifier ou ajouter des traités sélectionnés. Pour les traités, on peut définir une liste d’une centaine d’ouvrages de 1850 à 1950 fondateurs ou qui sont toujours cités. Certains trop récents (!) comme le Hendi Desbois sur la propriété littéraire et artistique (il n’est en ligne sur Gallica que comme indisponible et donc seulement à 15%) ou le Mazeaud en civil pourraient voir leurs droits achetés par l’Etat à l’éditeur (Henri Mazeaud est décédé en 1993)
  • après 1948 : continuer la numérisation des revues au fur et à mesure que la barrière du droit d’auteur recule.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, veilleur, formateur

Notes

[3Constat d’une collègue sur la liste Juriconnexion le 12 octobre 2022.

[5Fil de discussion Recherche d’une référence Dossier brevets 1978, liste Juriconnexion, 5 mai 2021

[8L’INIST et le CFC condamnés pour contrefaçon par la Cour de cassation, Les Infostratèges, 24 décembre 2013.

[9A noter que des éditeurs sont parfois contactés par des bibliothèques juridiques privées sur la possibilité, contre rémunération, de numériser leurs collections, mais que celles-ci n’obtiennent aucune réponse officielle, aucun contrat.