Règlement de comptes à OK Coral : petits libraires et éditeurs font appliquer la loi Lang sur le prix du livre
Livres Hebdo du 12 septembre signale que le Coral (Comité de réflexion pour l’avenir du livre) a obtenu la condamnation du groupe Eyrolles (éditeur et libraire) [1] pour infraction à la loi Lang sur le prix unique du livre [2] dans le cadre de marchés collectifs [3]. Eyrolles a été condamné à verser 15 000 euros de dommages intérêts à Soficom. La maison d’édition devra aussi prendre en charge la publication du jugement dans trois journaux. Soit un total de condamnations dans les 30 000 euros.
Les remises allaient de 9 à 40% du prix public. C’est la seconde condamnation de ce type à l’initiative du Coral. La première a été rendue par la même juridiction en mars contre la Revue Banque [4]. La défense des sociétés condamnées a toutefois fait remarquer qu’en nombre, le pourcentage des factures dépassant 5% de remise est faible (4,41% des factures émises sur la période concernée, pour la Revue Banque). Ce à quoi le jugement répond que cela a été utilisé pour enlever des marchés à la plaignante ...
Le Coral regroupe un quarantaine d’auteurs, petits libraires et petits/moyens éditeurs. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre la brève de Livres Hebdo, il ne s’agit pas d’un groupe d’ultra-minoritaires.
Le Coral tente de faire respecter la loi Lang [5], mal appliquée — en tout cas jusqu’à il y a peu ... Pour mémoire, celle-ci interdit les remises de plus de 5% aux particuliers et entreprises sur le prix des livres neufs. Seules les bibliothèques accueillant le public [6] et appartenant à l’Etat ou aux collectivités territoriales peuvent bénéficier de remises jusqu’à 9%. Les ventes à l’auteur ne sont pas concernées par cette interdiction [7]. L’interdiction s’étend aux services annexes à la commande de livres, mais pas à la livraison, la Cour de cassation ayant récemment validé la gratuité des frais de port [8]. La livraison peut donc être gratuite.
La loi Lang ne me semble pas toujours adaptée aux besoins tant des acheteurs que de certains vendeurs dynamiques [9]. Elle aurait même, à mon avis, tendance à pousser vers la constitution d’offres électroniques globales forfaitaires, qui ne sont pas soumises, elles, à la loi Lang et permettent ainsi de pratiquer des "prix de gros" attractifs pour la clientèle.
Pour autant, en l’état actuel des choses, le problème, c’est que le non respect de la loi sur le prix du livre crée de fait une concurrence déloyale entre les acteurs du livre.
Notes
[1] Serge Eyrolles est président du Syndicat national de l’édition (SNE).
[2] Article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre : « Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur ». L’article 3 liste les exceptions et l’article 5 précise que l’occasion (définie ici comme les ouvrages édités ou importés depuis plus de deux ans) est exclue du champ d’application de la loi. Voir le dossier Prix du livre, mode d’emploi monté par la Direction du livre et de la lecture (DLL), sur le site web du ministère de la Culture.
[3] Tribunal de grande instance de Paris, 12 septembre 2008.
[4] Tribunal de grande instance de Paris 1ère chambre 18 mars 2008 n° RG 06/13183 Coral et Soficom c/ Revue Banque. Revue Banque, éditeur et libraire, est une filiale de la Fédération bancaire française (FBF).
[5] Lire la lettre ouverte du Coral aux candidats à l’élection présidentielle, publiée dans le courrier des lecteurs de Livres Hebdo. Voir aussi le dossier établi par les éditions Luigi Castelli.
[6] Autrement dit ouvertes à tous, grosso modo les bibliothèques de lecture publique.
[7] Ce type de vente a été invoqué comme expliquant une partie des remises supérieures à 5%. A ce sujet, notez dans le jugement Revue Banque le passage suivant : « la défenderesse explique que certains projets éditoriaux ne verraient pas le jour sans l’engagement d’achat par l’auteur lui-même ou par des tiers (employeurs de l’auteur) que les ouvrages concernés ne sont pas destinés à la revente. » Traduction : l’édition, en fait à compte d’auteur, d’ouvrages promotionnels est une pratique relativement courante dans le milieu de l’édition.
[8] Cour de cassation Chambre commerciale 6 mai 2008
n° 07-16.381 France Telecom E-Commerce (i.e. Alapage) c/ Syndicat de la Librairie française (SLF). Extrait pertinent : « la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du code de la consommation ». Voir les explications de Stéphane Perrin, avocat, dans son article publié aux Echos et la discussion sur Amazon sous le communiqué de presse d’Alapage. La décision antérieure de la Cour d’appel de Paris du 23 mai 2007 était favorable au SLF.