La décision Meltwater de la Cour de justice de l’UE n’affirme pas le droit pour les outils de veille d’extraire substantiellement ni de copier en masse titres et extraits des articles de presse gratuits
Meltwater, un arrêt dédouanant les outils de veille de tout risque juridique ?
Ne pas se tromper sur la décision PRCA / NLA de la CJUE du 5 juin 2014 (affaire C-360/13). Ce qu’elle affirme, c’est que reproduire en cache un article de presse disponible sur Internet sur l’ordinateur du client d’une société de veille ne viole pas la directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information, qui permet justement ces copies cache pour permettre le fonctionnement normal du Web. Plus précisément, l’arrêt dit que si Meltwater se limite à reproduire titres et extraits sur son site (sans téléchargement mais avec possibilité de cliquer pour voir le texte intégral sur le site de presse) au lieu d’envoyer un mail contenant ces titres et extraits, alors la société de "news clipping" et ses clients sont en règle avec le droit d’auteur car il n’y a alors pas d’autre copie que celles purement techniques prévues comme des exceptions légales par la directive [1].
Le droit n’autorise pas pour autant les logiciels de veille à faire ce qu’ils veulent
Pour autant, la copie initiale même partielle des articles par Meltwater serait illégale si la société de veille ne prenait pas de licence. Cette partie de l’affaire a été réglée avant son passage devant la Supreme Court britannique (voir article Wikipedia pour résumé et comparaison avec la solution américaine). Elle, n’est pas concernée par l’arrêt de la CJUE. Elle tient donc toujours (c’est l’arrêt même de la Supreme Court qui le dit dans son introduction). Seules les copies cache et écran sur l’ordinateur du client de Meltwater étaient en cause dans l’arrêt du 5 juin.
Ce qui se cachait derrière le litige était donc probablement la volonté de NLA d’obtenir plus que le montant de la licence prise par Meltwater, montant qui n’est probablement pas en ligne avec le nombre et la "consommation" de ses clients. Surtout dans un contexte de crise de la presse ...D’ailleurs, la lecture de l’arrêt de la CJUE montre que la véritable question, le seul problème dans la question posée à la Cour, c’est de savoir si cela cause un préjudice injustifié aux éditeurs, auquel cas l’exception ne jouerait plus [2]. Comme les articles sont en accès libre et gratuit et ce sur les sites mêmes des éditeurs, répond la Cour, il n’y a pas de préjudice.
NB : pour mieux comprendre la jurisprudence de la CJUE sur la contrefaçon et le lien hypertexte sur Internet, il faut absolument lire le billet de Michèle Battisti sur son blog Paralipomènes.
De surcroît, toujours à propos du service de veille Meltwater sous le seul angle du droit d’auteur, la décision américaine comparable est allée dans le sens inverse de celle de la CJUE en insistant, en l’absence de texte comparable à la directive droit d’auteur, sur la concurrence déloyale et le préjudice causés aux éditeurs de presse [3].
Enfin, dans l’affaire PRCA, le droit du producteur de base de données d’interdire les extractions quantitativement ou qualitativement substantielles n’a semble http://www.paralipomenes.net/archives/10730 il pas été invoqué. Ni non plus n’a t-on parlé d’intrusion dans un système informatique. En effet, les éditeurs des sites de presse n’avaient pas interdit l’accès à leur sites au robot d’indexation de Meltwater puisque cette société avait obtenu une licence.
Or cet aspect des choses risque de changer en France avec les interdictions croissantes des robots des outils de veille (Meltwater, mais aussi Sindup, Knowings, Digimind, Kwam, Convera, KBCrawl, AmiSoftware, Mention, VecteurPlus, Moreover, Trendeo ..) dans les fichiers robots.txt des sites de presse les plus consultés comme ceux du Monde, du Nouvel Obs etc. Les Échos ayant été un précurseur ont une longue liste comprenant même Scoop.it et Readability ! Le billet bien informé de Frédéric Martinet sur son blog Actulligence révèle et commente cette évolution récente. Google Alert n’est pas concerné, revenus publicitaires oblige, mais la pertinence et l’exhaustivité de ses résultats semble avoir décru.
Ajoutons que, en droit français, et même si la preuve y est difficile, des actions en concurrence déloyale et parasitisme sont également possibles.
Notes
[1] Pour reprendre les mots de l’arrêt : "Meltwater a consenti à souscrire à une licence de base de données Internet. Néanmoins, PRCA a continué à soutenir que la réception, en ligne, des rapports de suivi par les clients de Meltwater n’exigeait pas de licence."
[2] Je cite l’arrêt : "Conformément à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, la réalisation d’un acte de reproduction provisoire n’est exempt du droit de reproduction que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires des droits."
[3] Je cite la décision américaine : "Meltwater has failed to raise a material question of fact to support its fair use defense. Meltwater’s business model relies on the systematic copying of protected expression and the sale of collections of those copies in reports that compete directly with the copyright owner and that owner’s licensees and that deprive that owner of a stream of income to which it is entitled. Meltwater’s News Reports gather and deliver news coverage to its subscribers. It is a classic news clipping service. This is not a transformative use."