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Instructions fiscales : celles non publiées au 1er mai sur circulaires.gouv.fr resteront opposables à l’Administration

Un décret du 28 avril 2009 vient contredire la sévérité de celui du 8 décembre 2008 sur les conditions de publication des instructions et circulaires.

Les circulaires et instructions déjà signées devaient initialement être toutes réputées abrogées si elles n’étaient pas reprises sur le site web relevant du Premier ministre et qui doit apparaître le 1er mai 2009.

Or, selon ce décret du 28 avril, publié au JORF du 29 : « les dispositions [de l’alinéa 2 de l’article 2 du décret du 8/12] ne s’appliquent pas aux circulaires et instructions publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un administré de se prévaloir. »

Cette concession fait suite à diverses opinions exprimées dans la doctrine et n’est que partielle, puisque :

  • elle ne concerne que les textes réellement opposables à l’Administration, et non purement interprétatifs. Concrètement, il s’agirait essentiellement des instructions fiscales
  • si une circulaire ou une instruction n’est pas dans le site dont on attend l’apparition le 1er mai, elle n’est pas abrogée (art. 2 al. 2 modifié du décret du 8 décembre). En conséquence, elle reste opposable à l’Administration. Mais elle n’est pas pour autant applicable par les fonctionnaires (en effet, l’art. 1 al. 2 n’est pas touché, lui) [1].

Ces nuances méritent quelques explications. Voici celles de Marc Tournoud, avocat fiscaliste à Grenoble, sur la liste Juriconnexion :

« Une circulaire peut être abrogée tout en restant opposable, en ce sens que si elle ne s’impose plus aux fonctionnaires qui en étaient destinataires, elle reste opposable à l’administration qui l’avait publiée dans le cadre des litiges avec les usagers : c’est le cas des instruction fiscales, qui resteront donc (heureusement) opposables à l’administration sur le fondement de l’article L 80 A du Livre des Procédures Fiscales et du nouveau décret 2009-471 du 28 avril 2009. C’est ce qu’il faut entendre dans l’expression du décret : "dont la loi permet à un administré de se prévaloir". Une circulaire abrogée restera donc opposable à l’administration fiscale, pour autant qu’il s’agisse d’une circulaire opposable sur le fondement de la Loi (l’article L 80 A du LPF), et qu’elle ait été publiée avant le 1er mai 2009.

Pour les fiscalistes, il s’agit donc une clarification très opportune : à défaut, il serait devenu impossible d’opposer à l’administration des circulaires publiées avant le 1er mai 2009, mais qui ne sont pas publiés sur le net, comme c’est le cas de la généralité des BO des impôts antérieurs à 2001, ou par exemple de la documentation de la DGI série 9 (Domaines) qui n’est pas reprise sur le site impot.gouv.fr, et qui n’est plus disponible sur le net depuis l’arrêt du regretté site privé fiZcal.com ! [...]

Il est donc clair que si le décret du 8 décembre 2008 était resté en l’état, les contribuables auraient perdu la possibilité d’opposer à l’administration toutes les circulaires abrogées par ce décret, ce qui aurait constitué un recul juridique inacceptable, et n’aurait pas manqué de poser d’insolubles problèmes dans d’innombrables contentieux fiscaux fondés sur l’opposabilité de la doctrine.

Ce n’est donc pas le décret d’avril 2009 qui est douteux, mais le précédent de décembre 2008, qui ne tenait pas compte de la nécessité de préserver la sécurité juridique attachée aux instructions fiscales publiées antérieurement. Ce décret de 2008 gagne donc largement à avoir été corrigé ! »

Bien lire aussi ce qu’en dit Geneviève Koubi dans les commentaires sous ce billet de Combat pour les droits de l’homme. Professeur de droit et spécialiste des circulaires, elle n’est pas aussi affirmative que Marc Tournoud sur la portée du décret du 28 avril :

« Les circulaires dont les administrés peuvent se prévaloir ne sont pas toujours celles qui leurs sont opposables. Il est à noter que les lois ne sont pas très explicites sur ce point, sauf en ce qui concerne la doctrine fiscale (instructions fiscales).
C’est à la jusriprudence administrative qu’il faut alors faire référence, mais la notion de circulaire “impérative” ne siginifie pas pour autant une circulaire invocable…
Quant à faire le tri des circulaires… ce n’est que casuistique. En fait, au sein des administrations, la question n’a pas été posée en ce sens.

Par ailleurs, la date de classement sur le site n’est pas non plus d’une valeur stricte. A l’ouverture du site, il était signalé que l’indexation des circulaires était en cours, il faut admettre donc que parmi les circulaires qui seront mises sur le site dans quelques jours il y en aura qui auraient du être pensées abrogées. [...]

Avec cette attention portée aux circulaires, nous risquons de perdre de vue le fait que ces textes ne sont pas ‘normatifs’ et que leur valeur juridique est bien moindre que ce que le Premier ministre voudrait implicitement nous faire croire. Car le seul principe sur lequel repose l’argument est celui que l’administration doit respecter la doctrine qu’elle a élaborée. Il s’agit bien de “doctrine”, à moins qu’une recomposition de la notion ‘d’interprétation administrative’ soit en cours… (cependant, il n’est pas sûr que le juge administratif entérine la modification alors recherchée). L’idée d’une “applicabilité” de la circulaire administrative interprétative désorganise la hiérarchie des normes.
De fait, l’invocabilité par l’administré d’une circulaire ne se situe pas devant le juge mais devant l’autorité administrative exclusivement. Cependant, l’administré n’est conduit à se prévaloir d’une circulaire que si elle lui est “favorable”. Or logiquement l’administration est seule juge de la qualification à donner de la circulaire ! Tout se jouerait au cas par cas. Dans ce cas, une distinction plus élaborée entre recours (administratif et non contentieux) et réclamation s’imposerait. »

Pour tenter de synthétiser : les circulaires et instructions non publiées au 1er mai sur le site relevant du Premier ministre resteront opposables à l’Administration, mais non applicables par elle. Il s’agit surtout de préserver les droits des contribuables qui se sont basés sur des instructions fiscales.

Les deux textes pour mieux comprendre :

Décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (JORF n° 287 du 10 décembre 2008 page 18777
texte n° 2)

Article 1

[al. 1er] Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation.
[al. 2] Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés.
[al. 3] Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes.

Article 2

[al. 1er] L’article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009.
[al. 2] Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l’article 1er.

Décret n° 2009-471 du 28 avril 2009 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (JORF n° 100 du 29 avril 2009 page 7242 texte n° 1)

Article 1

L’article 2 du décret du 8 décembre 2008 susvisé est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du précédent alinéa ne s’appliquent pas aux circulaires et instructions publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un administré de se prévaloir. »


Nota bene :

La jurisprudence à l’encontre des circulaires a beaucoup évolué. En principe, ces textes infra-réglementaires ne sont là que pour commenter le droit existant, expliquer son application concrète.

Le contentieux des circulaires, notes de services, instructions appelait des solutions variées selon plusieurs critères et en fonction des espèces :

  • la nature réglementaire du texte
  • son caractère de mesure d’ordre intérieur (MOI)
  • le pouvoir réglementaire des ministres au sein de leur service
  • les actes du Gouvernement.

Le Conseil d’Etat retient désormais un critère unique pour savoir si l’acte contesté peut être déféré devant le juge : le caractère impératif de l’acte [2]. Si la condition est remplie, les juges examinent la légalité du texte. (source Wikipedia, licence CC-BY-SA)

Notes

[1Et en effet, au 4 mai, on ne voit pas les instructions fiscales sur le site circulaires.gouv.fr. Elles restent bien sûr sur le BOI en ligne.

[2Conseil d’Etat 18 décembre 2002, Section, Mme Duvignères, Recueil Lebon 463. Voir l’analyse du Conseil d’Etat et les conclusions Fombeur dans RFDA 2003.280.